Vive la jeunesse de La Côte et la maturité du Dézaley
Ils étaient 83. Des œnologues, des cavistes, des vignerons, des sommeliers, des journalistes spécialisés, des négociants venus de France, de Belgique, de Grèce, de Chine, des USA, d’Espagne et des quatre coins de la Suisse. Sous le contrôle des experts de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin et de l’Union Internationale des Œnologues, pas moins de 792 Chasselas, Fendant et Gutedel – soit une augmentation d’une trentaine de vins par rapport à l’édition précédente – ont été goûtés et notés les 2 et 3 juin 2017. Dans la grande salle du Château d’Aigle, 78 blancs du monde (français, allemand, hongrois, canadiens, mexicains et californiens) et de Suisse se sont confrontés dans cinq catégories : les vins secs qui affichent moins de quatre grammes par litre de sucre résiduel, les vins doux, les crus issus de vinifications spéciales, les vieux millésimes (2009 et antérieurs) et les «Swing», ces vins légers titrant moins de 11,5° d’alcool. Les provenances des vins helvétiques – La Côte (187), le Valais (137), Lavaux (119), le Chablais (105), Dézaley Grand Cru (40), Neuchâtel (28), Vully (18), Genève (16), Calamin Grand Cru (13), Lac de Bienne (7), Bonvillars (6), Côtes-de-l’Orbe (3), Tessin (2) – montrent que le Chasselas demeure une passion vaudoise.
Après La Grand’Rue 2013 du Domaine de la Ville de Morges (2015) et le Morges Vieilles Vignes 2015 d’Uvavins-Cave de la Côte (2016), le trophée de la catégorie principale revient au Féchy 2016 de la Société des Caves de Producteurs Mont-Féchy. Vinifié par le groupe Schenk, ce vin est réservé aux sociétaires de cette coopérative de vignerons de Féchy et de Mont-sur-Rolle. Devançant 645 concurrents, ce champion n’obtient toutefois par la meilleure note du concours malgré ses 93.9 points. Il est devancé par le Dézaley Chemin de Fer 1999 de Luc Massy (96.3 points). Le lauréat de la catégorie Vieux Millésimes s’adjuge aussi deux prix spéciaux : le Meilleur classement toutes catégories et le Meilleur vin vaudois classé. Pour compléter le palmarès signalons que la Cuvée E. Obrist N°1 2015 d’Obrist remporte les Vinifications spéciales, le Château Maison Blanche 2015 est titré Meilleur vin produit à plus de 15 000 bouteilles et l’Aigle 2016 du Domaine des Hospices Cantonaux obtient le Coup de cœur de la Presse.
Mont-Féchy: coopérer pour exceller
«C’est la deuxième fois que nous présentons un vin à un concours. L’an passé notre Mont-sur-Rolle était arrivé dixième de la catégorie principale», explique Pierre Richard, le président de la Société des Caves de Producteurs Mont-Féchy. Si l’entreprise est peu connue du grand public, c’est qu’elle ne vinifie, ni ne commercialise les quelques 500 000 litres qu’elle produit. «La coopérative qui faisait partie des Caves de La Côte a été créée en 1943, puis agrandie en 1945 pour atteindre une capacité de 2,2 millions de litres. En 1955, elle a prit son indépendance et entamé une collaboration exclusive avec le groupe Schenk. Notre contrat, qui tient en deux pages, stipule que nous devons leur vendre l’intégralité de notre production et qu’ils doivent nous l’acheter», précise celui qui dirige depuis quinze ans cette coopérative de quelques septante sociétaires. «La majorité des vignes se situent sur Mont-sur-Rolle et Féchy, mais nous avons des parcelles qui vont des Coteaux de Vincy à Aubonne. Il y a 90% de Chasselas que nous pressons nous-mêmes et 10% de spécialités qui sont amenées directement chez notre partenaire. Une fois les vendanges terminées, le moût transite par vinoduc – un pipeline pour le vin construit dans les années 1950 qui relie notre cave à celle de Jolimont – pour être vinifié. En février, nous choisissons les réserves des sociétaires, soit environ 20’000 bouteilles de Féchy et autant de Mont-sur-Rolle.» Arriver deux fois en deux ans au sommet de la hiérarchie du Mondial du Chasselas n’est pas donné à tout le monde. «Il n’y a pas de secret. Nous avons très peu de charge fixe, ce qui permet de payer correctement les sociétaires. Nous avons décidé de ne pas surveiller nos membres durant l’année viticole. Ce sont des professionnels qui savent ce qu’ils doivent faire. Par contre, il y a un système de bonus-malus à la réception des raisins. Dès que l’on varie d’un degré par rapport à la moyenne de la récolte, il y a une gratification ou une pénalisation de 3/1000 par dixième de degré.» Quand on lui demande si les excellents résultats du Mondial du Chasselas ont aiguillonné une volonté d’autonomie, le président se montre catégorique: «les coopératives qui ont disparu sont celles qui ont voulu voler de leurs propres ailes. Nous avons un système simple qui permet de rémunérer correctement nos sociétaires. Il n’est pas question d’en changer. Toutefois, suite aux demandes qui nous parvenues après notre consécration à Aigle, nous avons fait une nouvelle mise en bouteille – du même vin tiré de la même cuve – pour répondre à la demande.» En clair, quelques 1400 bouteilles – vendues à 9.50 francs – sont à la disposition du public depuis la mi-août.
Luc Massy : une transition sur de bons rails
Arrivé cette année à la retraite, Luc Massy se réjouit de voir ses deux fils reprendre le domaine même s’il pense rester actif sur le domaine, car explique-t-il «depuis trente ans, je ne travaille plus, je vis ma passion. Je représente la troisième génération. Depuis le 15 mai 2017, Grégory et Benjamin sont venus me rejoindre. Le domaine familial a été créé par mon grand-père, Albert, qui venait de la Vallée de Joux. Après avoir fait des études de commerce en Allemagne, il a travaillé en Angleterre, puis en Sierra Leone où il a attrapé la malaria après deux ans et demi. Revenu en Suisse pour se faire soigner, il a trouvé du travail comme comptable en 1903 chez Fonjallaz SA. Une dizaine d’année après, il a acheté des vignes et surtout, l’étiquette Chemin de Fer qui appartenait alors à son patron. En 1919, il a racheté le Clos du Boux et a dirigé le domaine jusqu’à son décès en 1950. Mon père, Jean-François, a alors repris la société dans laquelle je suis entré en 1977, à l’âge de 25 ans.» Suite aux divers achats de vigne de la famille Massy, le domaine a atteint une taille aujourd’hui respectable de dix hectares de vignes en propriété sur Epesses, Saint-Saphorin et Dézaley. Toute la production, ou presque, est commercialisée bouteilles « principalement en Suisse, précise Luc Massy. J’ai fait de gros efforts pour développer l’exportation, qui est un marché compliqué. Aujourd’hui nous sommes présents aux Etats-Unis, à Chypre, en Allemagne, au Japon et à Hong Kong.» Produisant 90% de blanc (du Chasselas surtout et du Sauvignon Blanc un peu), le Clos du Boux a bâti sa renommée sur son Dézaley Chemin de Fer, une marque parmi les plus célèbres du vignoble helvétique. «Nous possédons près de 4,5 hectares de vignes en Dézaley, majoritairement centrées autour du Vinorama. Tout ce qui pousse en-dessous de la route de la Corniche va dans le Chemin de Fer (qui oscille entre 25 et 35000 bouteilles par millésime), tout ce qui est au-dessus est vinifié en Dézaley-Marsens (2000 à 2500 cols par an). Mon grand-père et mon père ont eu l’intelligence de développer la commercialisation en bouteilles alors qu’une bonne partie de la production se vendait en litres. En ce qui nous concerne, je pense que nos derniers marchés de litres de Dézaley étaient pour l’Exposition Nationale de 1964.» Interrogé sur le millésime 1999 primé au Mondial du Chasselas 2017, ce vigneron est allé consulter ses carnets: «c’était une année sans doute difficile, car les Dézaley ont atteint des maturité assez basses, entre 75 et 78 degrés Oechslés. Les vendanges, qui ont commencé le 11 octobre, étaient tardives et sèches.»
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