Sur cette pierre, je bâtirai mon vignoble

Dessous, sous forme de roche-mère, autour, lorsque les parcelles sont soutenues par des terrasses, et dessus, quand le vin mature dans la pénombre des caves: la pierre est toujours indissociable du vignoble. Entre châteaux et capites, entre voûtes taillées dans la roche et murs en pierres sèches, ce dossier entend donner un aperçu de diversité de constructions associées au vignoble suisse.

La plupart des places fortes qui parsemèrent autrefois la campagne genevoise ont été détruits lors des conflits religieux entre la cité indépendante et le duché de Savoie. Les châteaux viticoles sont donc en général des maisons de maître construites bien après le Moyen-Âge», explique Dominique Zumkeller, spécialiste de l’histoire économique du canton lémanique. Comme on peut le comprendre en parcourant l’histoire des douze châteaux, Schloss et castello présenté pages 23 et 24, Genève n’a rien d’une exception dans ce domaine et les châteaux viticoles ne sont au final pas si nombreux que cela. Il faut d’ailleurs rappeler que l’association château et vignoble de qualité doit beaucoup au Bordelais. La plus célèbre région viticole de la planète utilise l’appellation château pour désigner une exploitation vitivinicole. En 1930, la justice française précise que « le terme s’applique sans qu’il soit nécessaire que le domaine viticole concerné comporte une construction suffisamment remarquable pour que le mot château s’entende de sa forme architecturale^». Peuvent donc revendiquer la mention «Château», tout vin d’une appellation bordelaise provenant d’une exploitation qui vinifie ses propres raisins. En Suisse, comme dans le reste de l’Europe, la qualité architecturale et historique des bâtiments sont jugés nécessaires pour mériter une telle appellation. Le prestige des vins de la Gironde et le développement de l’oenotourisme ont contribué à transformer les forteresses d’antan en instruments de promotion des régions viticoles. En réalité, le vignoble helvétique se compose surtout de petites ou de très petites structures appartenant à de nombreux propriétaires dont beaucoup cultivent du raisin mais ne vinifient par leur production. Ce morcellement, plus ou moins important selon les régions, couplé aux caractéristiques géographiques de la Suisse a donné naissance à trois éléments caractéristiques du paysage viticole helvétique : les terrasses, les guérites ou capites, ainsi que les villages vignerons.

Gagner des terres sur la pente
Au Vietnam, dans les Andes ou dans les Alpes, les premiers agriculteurs sont arrivés à la même conclusion: pour augmenter la surface de terre arable, il faut créer des terrasses. Il n’y donc rien d’étonnant à ce que les régions viticoles alpines ou en fortes pentes – Valais, Lavaux, Chablais, Grisons et Tessin – se soient couvertes de terrasses. Les plus anciennes répertoriées dans le pays datent de l’Age du Bronze et se trouvent dans les Grisons. Les premières mentions de murs de vignes remontent eux à la fin du Moyen-Âge. Continuellement rebâtis, renforcés, surélevés, transformés, les dizaines de milliers de terrasses des vignobles helvétiques restent encore un sujet assez mal connu. Toutefois, on sait que les murs les plus impressionnants ont été bâtis à l’époque moderne. Ainsi, les murs vertigineux du Dézaley, qui ont contribué à l’inscription de Lavaux au patrimoine mondial de l’UNESCO, auraient été achevés entre 1750 et 1830. De même, les parois de dix-huit mètres de haut du vignoble de la Cotzette à Sion ont été érigées entre 1868 et 1903.

Etapes dans les terrasses
Les plus petites ne sont rien de plus que des constructions rudimentaires servant d’entrepôt pour les outils et le matériel viticole. Les plus élaborées peuvent accueillir un ou plusieurs employés dans un confort relatif. Elles, ce sont les cabanes de vignes que l’on appelle capites dans le canton de Vaud et guérites en Valais. Si vous sortez du territoire national, elles prendront le nom de caborde en Franche-Comté, de cadoles dans le Beaujolais, de sarto en Savoie et de casot à Banyuls. Souvent en bois, parfois en pierre, ces constructions que la mécanisation et la création de chemin carrossables dans le vignoble avaient mises en péril connaissent une renaissance grâce à leur important potentiel touristique et promotionnel.

Le reflet d’une monoculture
«Jusqu’au milieu du 20^e siècle, les habitants de Lavaux conjuguent les activités de la vigne avec celles de la terre et de l’élevage. Par la suite, l’évolution sociale et les pressions économiques poussent les habitants à choisir: soit être vigneron, soit être paysan, soit même abandonner le travail de la terre. Si l’habitat dispersé caractérise la campagne à vocation paysanne, les maisons vigneronnes se serrent en villages afin de ne pas trop empiéter sur les coteaux propices au raisin.» Cette explication du dossier de candidature de Lavaux à l’Unesco s’applique aussi aux villages vignerons les plus emblématiques tels qu’Auvernier à Neuchâtel ou Dardagny à Genève. Bien entendu, la préservation des attributs caractéristiques des villages vignerons dépend surtout de la vitalité du vignoble. Lorsqu’une localité devient un dortoir pour pendulaires ou un concentré de spéculation immobilière, on constate une forte diminution de la tolérance pour les tracteurs emplis de vendange qui bloquent l’étroite rue centrale ou pour les applications de produits phytosanitaires en dehors des heures de bureau.
Alexandre Truffer

Cet article fait partie du dossier architecture du hors-série Genève 2017.

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