Qui étaient les Allobroges, premiers vignerons de Suisse?
Docteur en archéologie de l’Université de Lausanne, Marc-André Haldimann a supervisé pendant plus de deux décennies des chantiers de fouilles en Suisse romande et au Moyen-Orient. Ce spécialiste de l’époque gallo-romaine a aussi été durant huit ans le conservateur du département d’archéologie du Musée d’Art et d’Histoire de Genève. A son arrivée en 2004, il y a présenté, en collaboration avec le Musée de la Civilisation gallo-romaine de Lyon, une exposition baptisée «Les Allobroges, Gaulois et Romains au nord des Alpes».
Qui sont les Allobroges?
Leur entrée dans l’histoire date de 218 avant Jésus-Christ, quand ils rencontrent Hannibal. Le général carthaginois va régler une dispute successorale de la dynastie allobroge. En retour, il recevra le soutien du prince qu’il a favorisé dans sa fameuse traversée des Alpes. Comme leur nom signifie «ceux qui viennent d’ailleurs», on suppose, grâce aux découvertes numismatiques récentes, que ces Celtes venaient du Piémont et qu’ils se sont installés entre le 4e et le 3e siècle dans un territoire ayant pour frontières naturelles les Alpes et le Rhône
Celtes, Gaulois, Allobroges, Helvètes, quelle est la différence?
Le monde celte s’étend sur la plus grande partie du continent européen, de l’Atlantique jusqu’au Balkans et même en Anatolie. Sans oublier les îles Britanniques et le nord de la péninsule italienne d’où ils seront peu à peu chassés par les Romains. Les Gaulois, qui sont les Celtes résidant sur le territoire de la France actuelle, se divisent en 52 tribus parmi lesquels les Allobroges. Tous en commun une langue et des coutumes similaires. Leur société comprend trois classes: une aristocratie guerrière, des prêtres qui se transmettent des rites religieux secrets «de bouche de druide à oreille de druide» et le peuple des artisans, marchands et paysans.
Quand les Allobroges deviennent-ils romains?
Ils se soumettent formellement le 1 août 123 avant Jésus-Christ lorsqu’ils perdent leur autonomie politique à la suite d’une bataille décisive au sud de Valence. Le changement ne se fait pas en un jour, mais on constate l’apparition d’une structure gallo-romaine à partir de 70 avant notre ère. Bien entendu, il existe des factions pro et anti-romaines dans la société allobroges. L’avidité des gouverneurs latins provoque un certain nombre de rébellions, mais de manière générale les Allobroges demeurent des alliés fidèles de Rome. Un certain nombre d’entre eux prendront la citoyenneté romaine et tous les privilèges afférents, y compris le droit de cultiver la vigne.
Pourquoi les Gaulois ne pouvaient-ils pas cultiver la vigne?
A l’inverse des indices de consommation de vin importés relativement nombreux, il n’y a pas de preuves matérielles de la culture de la vigne dans les régions celtes avant l’époque romaine. Le commerce du vin est d’ailleurs un enjeu stratégique pour Rome. En 118 avant Jésus-Christ, le gouverneur de la Narbonnaise, province qui englobe toute les conquêtes romaines de la vallée du Rhône jusqu’à Genève, interdit sous peine de mort à tous, sauf aux citoyens romains, de cultiver la vigne sur le territoire qu’il administre. Un siècle et demi plus tard, l’empereur Claude interdit, encore une fois sous peine de mort, l’importation de vin gaulois en Italie. Cette législation protectionnisme prouve un développement pour le moins soutenu de la viticulture au nord des Alpes.
Quelle était la situation de Genève?
Jules César, qui avait été l’avocat des Allobroges dans un conflit politique à Rome, explique que Genève était la place-forte alliée la plus orientale. Au-delà, on entre en territoire étranger, voire ennemi. Lorsque les Helvètes décident de partir s’installer dans le Bordelais, les Allobroges n’ont aucune envie de voir leur pays traversé, et sans doute ravagé, par leurs voisins. Ils appellent alors à l’aide le plus célèbre général romain ce qui mènera à la bataille de Bibracte et, par conséquent, à la création de l’Helvétie romaine.
Quelles traces physiques des Allobroges ont été retrouvées à Genève?
On a retrouvé sous la cathédrale Saint-Pierre une tombe d’un aristocrate allobroge qui date du 2e siècle avant notre ère. Comme les autres Celtes, ce peuple intégrait un repas dans les rites funéraires. Tous les plats qui avaient servi pendant ce banquet d’adieu étaient brisés – une manière de les sacraliser en s’assurant qu’ils n’avaient servi qu’à honorer le défunt – puis enterrés. Nous avons fouillé une petite partie (80 m2) de l’esplanade de 5000 mètres carrés qui faisait face au tumulus funéraire. Dans cet espace restreint, nous avons trouvé 1049 coupes à boire. Cela laisse entendre que, au cœur de Genève, reposent plusieurs dizaines de milliers de récipients allobroges spécifiquement faits pour consommer du vin.
Cet article fait partie du dossier historique du Hors-Série Genève 2017 de VINUM et Swiss Wine Promotion avec le dossier sur le premier vin de Suisse.