Papa, pourquoi tu ne vas pas gagner le petit lait? (Vin suisse et dormition: épisode 10)
Vin suisse et dormition: épisode 10 27 mars 2020
Expliquer à son enfant pourquoi on doit l’abandonner régulièrement pour aller travailler fait partie des devoirs ingrats de chaque parent. Afin de faire passer la pilule, j’avais donc expliqué à une enfant d’une vingtaine de mois que mes escapades n’avaient qu’un but: «gagner des sous pour acheter ton petit lait, ma chérie»! Un an et demi plus tard, le bébé a grandi et c’est une petite fille entrée dans l’âge des pourquoi qui demande pourquoi je ne vais plus gagner son petit lait. Eh bien, parce que l’agenda autrefois bien rempli est, tout comme le calendrier accroché au mur, constellé de traits rouges. Toutes les manifestations ont été annulées ou reportées. Et la confusion est telle, que dans le prochain numéro de VINUM, nous avons réglé le problème en éliminant (pour la première fois depuis quarante ans) purement et simplement la page agenda.
La bouteille du jour
La dormition causée par le coronavirus va porter un coup très rude à un vignoble suisse déjà touché par la crise. Afin d’apporter un maigre soutien aux vignerons sur lesquels j’écris depuis quinze ans, j’ai décidé d’ouvrir une bouteille de vin suisse par jour de confinement (deux précisions: j’ai dit ouvrir, pas forcément finir, et vu que ma cave compte près de 600 bouteilles de vin suisse, je ne crains pas trop de tomber à sec).
Altesse 2018 Domaine Les Parcelles
En achetant du raisin auprès de partenaires de longue dates, Laurent Villard élabore des vins puissants, racés et complexe. Cette Altesse, délicatement dorée, ne fait pas exception. Elle offre un nez floral expressif où pointent de notes de fruits blancs, de poire surtout. En bouche, on aime l’attaque fraîche, la matière gourmande, l’équilibre et la finale complexe aux accents minéraux. Très appréciée à l’apéritif, elle a tenu son rang royal sur des artichauts.
Un peu de culture sur le vignoble suisse
Pour la plupart des gens, la Savoie est une région reculée et montagneuses dédiée aux sports d’hiver. Ce sentiment a été caricaturé dans un film extrêmement populaire de la fin des années 1970, «Les bronzés font du ski». Dans cette comédie, qui repasse chaque année à Noël, la gastronomie local fait l’objet d’une scène devenue culte. Les héros du film, des Parisiens venus faire du ski dans la région, font du hors-piste et se perdent. Sauvés par des paysans du coin, ils sont initiés à la gastronomie traditionnelle composée de tord-boyaux artisanaux dans lesquels marinent des crapauds et de «foune», un gruau brunâtre mélange de fromage, de couennes et d’alcool de bois. La scène est entrée dans l’imaginaire collectif, ce qui complique quelque peu le travail de reconnaissance des vins de la région.
Notre dossier sur la Savoie, le père fondateur endormi des vignobles lémaniques et alpins.
Journaliste sur le vin, spécialisé sur le vignoble helvétique, j’habite à Montreux. Mi-mars 2020, cette petite ville animée sur les bords du Lac Léman est entrée, comme le reste du pays, en dormition (un terme religieux qui désigne une mort sans souffrances) pour cause d’épidémie de coronavirus. Travailleur indépendant, rédacteur en chef de l’édition francophone de VINUM, père d’une petite fille de trois ans, président d’un concours international (le Mondial du Chasselas), je dois désormais réorganiser à peu près tous les pans de ma vie privée et professionnelle. Traverser le confinement, et survivre au cataclysme économique qui le suivra, va être une aventure exigeante dont ce journal de bord entend garder la trace.
Alexandre Truffer
Cet article est paru dans le dossier Premiers Grands Cru du hors-série Vaud 2017.
Retrouvez ici les autres épisodes de Vin suisse et dormition
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