Les vignerons suisses du tsar
L’histoire de la viticulture se confond avec celle de la colonisation. Sous l’empire romain, les légionnaires recevaient à la fin de leur 25ans de service un lot de terre dans les régions nouvellement conquises. Obligation était faite aux anciens soldats de planter de la vigne sur leur terre. Ceci, car il faut trois ans avant de pouvoir obtenir une première récolte. Et, durant ce laps de temps, le nouveau propriétaire avant le temps de s’attacher au pays, de prendre femme et d’apprendre la langue. De cette manière, les territoires soumis se peuplaient de citoyens dévoués qui importaient le latin et romanisaient le pays petit à petit. Cette technique a fait don à l’empire de trois siècles de paix et a permis la diffusion de vitis vitifera dans tous les pays d’Europe.
Mille ans plus tard, les jésuites espagnols introduisent la plante sur le sol américain. Dès lors, les colons de toutes nationalités emportent dans leurs malles des ceps de leur région d’origine. Ainsi, vont naître les vignobles d’Australie, d’Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande, de Californie, d’Argentine et du Chili. Parmi les immigrés bordelais, basques, castillans, italiens ou grecs se trouvaient quelques suisses qui ont emmené leurs traditions et leur savoir-faire viticole dans des pays lointains.
La seule colonie helvétique
Dans Les vignerons suisses du tsar, l’auteur nous conte comment les habitants d’un petit village vaudois quittent les bords du lac Léman pour commencer un long périple sur l’invitation du tsar. Après plusieurs mois de marche, ils arriveront en Petite Russie –Ukraine actuelle- afin de prendre possession de Chabag, lieu de la future colonie. Se basant sur les documents officiels de la commune et la correspondance entre les émigrés et leurs familles demeurées en Suisse, Olivier Grivat relate 150 ans de la vie de cette communauté.
Des débuts héroïques à la prospérité, en passant par les heures de doute, les moments de gloire ainsi que les époques de troubles, l’ouvrage nous plonge dans la vie quotidienne de ces vaudois qui se russifient de génération en génération. Au début du XX ème siècle, Chabag est devenu un centre viticole reconnu. Hélas, l’histoire emporte la Russie dans le chaos meurtrier de la Grande Guerre, de la Révolution puis de la guerre civile. Limitrophe de la Roumanie, la colonie lémanique est rattachée comme toute la région d’Odessa à ce pays. Ce qui lui permet de survivre une trentaine d’années supplémentaires jusqu’à l’arrivée de l’armée soviétique. Dès 1945, le drapeau couleur de sang flotte sur Chabag désertée et les experts communistes vont transformer les caves florissantes en usines à piquette. A l’exception d’une jeune femme, les anciens colons retournent en Suisse où ils deviendront les Russes de Vevey. C’est là que l’auteur les retrouve et les accompagne en 1991 dans un émouvant voyage de retour sur le territoire du kolkhoze de Chabag.
Olivier Grivat réunit dans un ouvrage complet, intéressant et d’une lecture aisée deux thématiques de notre histoire largement ignorée par la littérature. A fureter dans les librairies de Lausanne ou Genève, il semble que la viticulture romande soit aussi peu étudiée que l’histoire des humbles citoyens helvétiques partis chercher un avenir meilleur. Pourtant et l’une et l’autre méritent de ne pas sombrer dans l’oubli et, sans conteste, Les vignerons suisses du tsar devrait se trouver en bonne place dans les bibliothèques des férus d’histoire suisse comme dans celles des amateurs de vin.
Article paru en mai 2005 sur RomanDuVin.ch