Le vin, sacré trait d’union (épisode 4: de l’an mil aux épidémies de peste)
Au coeur de l’Europe, le Valais est depuis trois millénaires sur le chemin des grandes routes reliant le sud et le nord du continent. Marchands, soldats, religieux, artisans, intellectuels, voyageurs et exilés ont traversé cette région. Tous y ont séjourné, certains s’y sont installés apportant avec eux des idées, des coutumes, des plantes et des innovations qui ont façonné cette région. L’un des pôles d’attraction importants du Valais a toujours été l’Abbaye de Saint-Maurice, qui possède des vignes depuis sa création, il y a plus de 1500 ans.
La vision d’un Valais enfermé entre ses montages et peuplé de goîtreux vivant leur courte vie sans jamais sortir de leur village, ni croiser un seul étranger jusqu’à ce que les cantons voisins les délivrent de leur enfermement en construisant le chemin de fer est une image d’Epinal malheureusement courante. Elle s’entrecroise souvent avec celle du Moyen-Âge, que les esprits simples résument à une «période sombre» durant laquelle une population en semi-servitude multipliait les pratiques superstitieuses en vue de survivre à la faim, aux pestes et aux bûchers. Parfois, ces beaux esprits s’étonnent tout de même qu’entre deux autodafés, cette Europe médiévale ait eu le loisir d’inventer l’université (Bologne 1088, Oxford 1116, Paris 1120) et la littérature arthurienne ou d’émailler le continent de cathédrales. De même, le Valais, pays de cols traversé par les routes reliant l’Italie – qui était la porte d’entrée vers Byzance, la route de la Soie et celle des épices – et les puissants royaumes du nord (Saint-Empire Romain Germanique, France, Angleterre) a été énormément influencé par les voyageurs qui l’ont traversé, comme par les pérégrinations de ses autochtones. Et tout particulièrement au Moyen-Âge, une période complexe qui débute au 5e siècle, à la chute de l’Empire romain, et se termine mille ans plus tard, au 15e siècle. Les plus impressionnants témoignages de ces échanges qui ont métamorphosé le canton et ses habitants, mais aussi sur son vignoble, sont exposés dans le trésor de l’Abbaye de Saint-Maurice. Plus ancien monastère en activité d’Europe occidentale, ce couvent, fondé en 515, peut sans doute aussi revendiquer le titre de plus vieux propriétaire viticole du monde. Au travers de quelques pièces maîtresses forgées à Rome, à Paris ou en Inde, ce reportage entend rappeler le rôle de carrefour entre Orient et Occident, entre nord et sud des Alpes, entre latins et germains, qu’a joué depuis deux millénaires le Valais.
www.abbaye-stmaurice.ch
Chef reliquaire de Saint Candide
Candide était selon la tradition l’un des officiers de Maurice, que l’empereur fit mettre à mort pour n’avoir pas voulu persécuter les chrétiens du Valais et pour avoir refusé de reconnaître la nature divine de César. Ouvert en 1961, ce reliquaire grandeur nature contenait un crâne ainsi qu’une quarantaine de paquets. Les archéologues ont découvert des ossements – emballés dans des étoffes et des soieries provenant de l’est de la Méditerranée, mais aussi de Chine et d’Asie Centrale – une coiffe en soie bleue et des monnaies de cuivre. Les objetstrouvés, dont un denier du comte Amédée III de Savoie, indiquent que ce buste à été ouvragé aux environs de 1165. Plus étonnant,
les scientifiques considèrent que cette pièce imposante a sans doute été fabriquée dans l’atelier d’orfèvrerie qui aurait prospéré à Saint-Maurice entre le 12e et le 13e siècle. «Il ne faut jamais oublier que les pièces d’orfèvrerie ne sont qu’un écrin pour le véritable trésor, à savoir les reliques, rappelle le chanoine Thomas Rödder, recteur de la basilique. Les moines du Haut Moyen-Âge n’auraient jamais pris le risque de laisser de si précieux vestiges quitter l’abbaye.»
Forte croissance après l’an mil
Entre la fin des incursions sarrasines (980) et le début des épidémies de peste (1349), le Valais connaît comme la plupart des régions alpines une longue période de prospérité. «Les conflits et les tensions existent, reconnaît Pierre Dubuis. On sort parfois les couteaux, mais la plupart des confrontations sont réglées par la négociation.» Conséquence de ces trois siècles de paix, la population augmente et le vignoble se développe pour répondre à cette croissance démographique. Les actes de notaires, particulièrement nombreux à partir de la fin du 12e siècle, mentionnent ainsi des plantations de vignes, des défrichements et des remplacements de champs par des parcelles viticoles. L’analyse d’un registre de notaire actif dans les paroisses de Savièse, Grimisuat et Ayent, montre qu’entre 1320 et 1350, on recense plus de 300 documentsen relation avec la vigne (ventes, legs, dons,échanges et rentes). Les vignes des familles paysannes locales, des ecclésiastiques ou de la noblesse, sont gardées pendant les vendanges dont le raisin est amené dans des pressoirs construits dans les maisons les vignerons mais aussi au milieu du vignoble.
Alexandre Truffer
Cet article fait partie d’un dossier sur l’histoire du vignoble valaisan vu au travers du trésor de l’Abbaye de Saint-Maurice, le plus ancien propriétaire de vignes au monde paru dans le hors-série Valais 2017.
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