Le vin, sacré trait d’union (épisode 3: le Moyen-Âge avant l’an mil)
Au coeur de l’Europe, le Valais est depuis trois millénaires sur le chemin des grandes routes reliant le sud et le nord du continent. Marchands, soldats, religieux, artisans, intellectuels, voyageurs et exilés ont traversé cette région. Tous y ont séjourné, certains s’y sont installés apportant avec eux des idées, des coutumes, des plantes et des innovations qui ont façonné cette région. L’un des pôles d’attraction importants du Valais a toujours été l’Abbaye de Saint-Maurice, qui possède des vignes depuis sa création, il y a plus de 1500 ans.
La vision d’un Valais enfermé entre ses montages et peuplé de goîtreux vivant leur courte vie sans jamais sortir de leur village, ni croiser un seul étranger jusqu’à ce que les cantons voisins les délivrent de leur enfermement en construisant le chemin de fer est une image d’Epinal malheureusement courante. Elle s’entrecroise souvent avec celle du Moyen-Âge, que les esprits simples résument à une «période sombre» durant laquelle une population en semi-servitude multipliait les pratiques superstitieuses en vue de survivre à la faim, aux pestes et aux bûchers. Parfois, ces beaux esprits s’étonnent tout de même qu’entre deux autodafés, cette Europe médiévale ait eu le loisir d’inventer l’université (Bologne 1088, Oxford 1116, Paris 1120) et la littérature arthurienne ou d’émailler le continent de cathédrales. De même, le Valais, pays de cols traversé par les routes reliant l’Italie – qui était la porte d’entrée vers Byzance, la route de la Soie et celle des épices – et les puissants royaumes du nord (Saint-Empire Romain Germanique, France, Angleterre) a été énormément influencé par les voyageurs qui l’ont traversé, comme par les pérégrinations de ses autochtones. Et tout particulièrement au Moyen-Âge, une période complexe qui débute au 5e siècle, à la chute de l’Empire romain, et se termine mille ans plus tard, au 15e siècle. Les plus impressionnants témoignages de ces échanges qui ont métamorphosé le canton et ses habitants, mais aussi sur son vignoble, sont exposés dans le trésor de l’Abbaye de Saint-Maurice. Plus ancien monastère en activité d’Europe occidentale, ce couvent, fondé en 515, peut sans doute aussi revendiquer le titre de plus vieux propriétaire viticole du monde. Au travers de quelques pièces maîtresses forgées à Rome, à Paris ou en Inde, ce reportage entend rappeler le rôle de carrefour entre Orient et Occident, entre nord et sud des Alpes, entre latins et germains, qu’a joué depuis deux millénaires le Valais.
www.abbaye-stmaurice.ch
Aiguière dite de Charlemagne
Si l’attribution de cette aiguière à Charlemagne n’a pas de fondement historique, il est plausible que ce vase émaillé soit un don de son petit-fils. En effet, Charles le Chauve se serait arrêté à Agaune en 875 lors de son voyage à Rome pour être couronné empereur. Les érudits ont respectivement attribué la paternité de ce joyau à des orfèvres bulgares, hongrois, caucasiens, syriens, byzantins, géorgiens et vénitiens. A l’heure actuelle, la thèse d’un maître occidental, éventuellement formé à Byzance, prédomine. Deux choses sont certaines: les 22 saphirs proviennent de l’actuel Sri Lanka et l’iconographie est inspirée de la Perse préislamique. Cette pièce, à la croisée de deux mondes, arrive en Valais alors que l’Abbaye est «désorientée» pour être occidentée. En effet, au 9e siècle, l’église est agrandie et reconstruite. Au lieu d’orienter le choeur en direction de l’est et de Jérusalem, celui-ci exécute un demi-tour à 180° pour faire face à l’ouest à l’image de certaines basiliques romaines. Ce qui est tout aussi inhabituel pour un sanctuaire de cette période que symbolique d’un changement de vision du monde.
Les brumes du Haut Moyen-Âge
«Les siècles qui s’écoulent entre la Basse Antiquité et l’An Mil n’ont laissé presque aucune donnée sur le passé viticole du Valais. Une chose est sûre: le Valais du Haut MoyenÂge a certainement connu et la vigne et le vin. En effet leur forte présence est établie dans les siècles qui précèdent, et un vignoble massif et complètement intégré sera bientôt observé, au 12e et 13e siècle», écrit Pierre Dubuis dans «Histoire de la Vigne et du Vin en Valais». Il faut ainsi attendre 1052 pour voir apparaître dans les archives valaisannes un document qui mentionne des vignes au pied du château de Saillon. L’absence de sources ne signifie pas que le cantonse fige, bien au contraire. Au 8e siècle, des populations de langues germaniques
s’installent à l’est du canton dans les vallées de Loèche et de Conches. En 999 dans une charte établie à Cudrefin, sur les rives du lac de Neuchâtel, le roi de Bourgogne confie la charge de comte à l’Evêque de Sion. A la mort du roi, la Bourgogne est intégrée auSaint-Empire romain germanique. En 1189, le comté devient la Principauté épiscopale de Sion, qui se transformera en République des Sept-Dizains en 1628 avant d’être intégrée à la République Helvétique en 1798.
Alexandre Truffer
Cet article fait partie d’un dossier sur l’histoire du vignoble valaisan vu au travers du trésor de l’Abbaye de Saint-Maurice, le plus ancien propriétaire de vignes au monde paru dans le hors-série Valais 2017.
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