Le premier vin de Suisse

Mosaïque_de_vignes_sur_hautain_à_Jbal_Lahmar_Tunisie Photo: Creatives commons

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Les amateurs de vin suisse savent que Genève a fait œuvre de pionnier il y a trente ans de cela lorsque le canton met sur pied le premier système d’appellation contrôlée. De fait le vignoble le plus occidental du pays est peut-être aussi le plus ancien de Suisse. L’histoire et l’archéologie montrent que le plateau suisse était occupé par les Helvètes, une peuplade celtique, relativement réticente à l’influence romaine. Y compris à celle des marchands de vins qui exportaient en masse leurs amphores emplies de vin au nord des Alpes. La romanisation, et donc l’arrivé du vin puis de la culture de la vigne, n’arriveront qu’après la défaite de Divico, en 58 avant Jésus-Christ. Toutefois, toute la Suisse n’est pas occupée par les Helvètes. A l’ouest, le Rhône constitue une frontière naturelle avec les Allobroges, autre peuple celte, soumis à la férule romaine depuis 121 avant Jésus-Christ. Ces Gallo-Romains, qui occupent les plus de la moitié de ce qui est aujourd’hui le canton de Genève savent cultiver la vigne. Un cépage, la Vitis Alloborgica ou Allobrogicum leur est même associé. Décrit par Pline l’Ancien et Columelle, cette variété donnait naissance au «picatum» un vin résineux qui tirait sans doute son nom de la poix qui était utilisée pour garantir l’étanchéité des tonneaux ou des jarres utilisées pour son élaboration et se déclinait en plusieurs crus: le sotanum, le taburnum et l’ellicum.

Aux origines de la Syrah
Couvrant un territoire allant du Léman jusqu’à l’Isère et du Rhône au Alpes du Nord, les Allobroges avaient pour capitale Vienne. Les vignobles qu’ils ont plantés le long du Rhône ont donné naissance à quelques-unes des appellations françaises les plus renommée : Saint-Joseph et Côte-Rôtie sur la rive droite, Hermitage, sur la rive gauche. Cette continuité entre vignobles allobroges et paradis de la Syrah implique-t-elle une filiation directe entre Vitis Allobrogica et le grand cépage rouge rhodanien? Pour l’ampélographe français Louis Levadoux, cela ne fait aucun doute. En 1964, dans son ouvrage «La vigne et le vin des Allobroges», il rappelle que la distribution de la Syrah et de la Mondeuse  – le cépage rouge principale de la Savoie – avant l’arrivée du phylloxéra correspond très précisément à la zone de culture de l’Allobrogica. Consolidant sa thèse par des arguments historiques et linguistiques, il postule que la vigne gallo-romaine était une «proto-mondeuse» qui va évoluer au cours des siècles pour donner naissance à la Syrah et à la Mondeuse.  En 1998, des tests ADN réalisés en France et aux Etats-Unis rendent publics la généalogie de la Syrah. Il s’agit d’un croisement naturel entre la Dureza, un ancien cépage d’Ardèche autrefois cultivé en Isère, et la Mondeuse Blanche, elle-même fille de la Mondeuse Noire.
Affirmée par l’histoire, confirmée par la génétique, la démonstration paraît irréfutable. «En fait, tout n’est pas si simple», corrige l’ampélologue José Vouillamoz qui a de son côté réussi à établir que la Syrah, petite-fille de la Mondeuse avait un autre ancêtre célèbre: le Pinot Noir, grand-parent de la Dureza. «Les Romains n’avaient pas la même conception que nous de la notion de cépage. Les appellations, comme Vitis Allobrogica ne désignent pas une variété de raisin, mais une région de production. S’il l’on pouvait remonter le temps et analyser les vignes des Allobroges, on trouverait sans doute une complantation cinq ou six cépages différents, donc l’un ou l’autre, mais certainement pas tous, pourrait avoir un lien génétique avec la Syrah. »

Des rumpotins aux hutins
Dans son «Histoire Naturelle», Pline l’Ancien parle d’un système de culture de la vigne caractéristique de régions gauloises romanisées. Il écrit: «on voit un peuplier qui porte le nom de rumpotin, et près duquel se trouvent communément de grosses souches de vignes. L’arbre, très épais, forme, avec ses branches, des espèces de planchers circulaires, le long desquels la vigne s’élève, en serpentant, du tronc dans l’espèce de main ou de ramification que le bois lui présente, pour venir ensuite embrasser de ses sarments chacun des doigts des rameaux légèrement relevés.» Columelle se révèle encore plus précis: « Il y a en Gaule une autre espèce de plants d’arbres mariés aux vignes, et qu’on appelle rumpotin: il exige des sujets de petite taille et peu garnis de feuillage. […]L’arbre se divise ordinairement en trois branches, à chacune desquelles on conserve de chaque côté plusieurs bras ; puis on retranche presque tous les autres rameaux qui donneraient trop d’ombre à l’époque de la taille des vignes. Les pratiques sont les mêmes que celles qui sont usitées en Italie : ainsi on plante les vignes dans de longues fosses, on leur donne les mêmes soins, on les dispose sur les branches de l’arbre ; tous les ans on fait passer aux arbres voisins de nouveaux sarments, et l’on coupe les anciens.» Ce système perdurera au Moyen-Âge dans une bonne partie de l’Europe sous le nom de «hautins» ou «hutins ». Il permet de combiner la culture de la vigne, de l’arbre qui lui sert d’échalas et qui peut être un arbre fruitier, mais aussi de conserver le sol libre pour faire paître des animaux, tels que des moutons, des chèvres ou des cochons. Les hautains ne produisent toutefois que des vins de faible qualité qui sont critiqués par les agronomes dès le début du 17e siècle. Ce mode de culture devient de plus en plus rare et disparaît presque totalement au début du 20e siècle. Il faut attendre les années 2010 pour voir réapparaître de nouveaux hutins à Genève, qui n’ont pas réellement de vocation viticole, mais font office de témoignage paysager et zones arborées favorables à la sauvegarde d’espèces d’oiseaux rares comme la chevêche d’Athéna, une petite chouette, et la huppe fasciée.

Cet article fait partie du dossier historique du Hors-Série Genève 2017 édité par Swiss Wine Promotion et VINUM en compagnie de l’interview de l’archéologue Marc-André Haldimann.

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Journaliste indépendant et créateur de RomanDuVin.ch, Alexandre Truffer écrit régulièrement pour Le Guillon, la revue des vin vaudois, Terre & Nature et VINUM, le magazine européen du vin.

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