Le grand public aime les médailles d’or
Les concours et leurs médailles provoquent des réactions paradoxales. D’un côté leur nombre ne cesse d’augmenter tout comme la quantité de vins qu’ils mettent en concurrence. Les multiples sollicitations qu’ils reçoivent de candidats au poste de juré, semble prouver qu’ils jouissent aussi d’un fort crédit auprès des professionnels. Et pourtant que n’entend-on, ou ne lit-on pas, sur ces compétitions? Leurs médailles seraient aléatoires (à cause de biais induits par l’ordre de dégustation, la formation défaillante des jurés, le type de notation utilisé ou l’influence de personnalités dominantes dans les jurys), les dégustateurs seraient formatés, les médailles distingueraient des vins sans défauts privilégiés par des œnologues et non les crus gourmands appréciés par les amateurs.
Les médailles d’or existent
En 2009, le chercheur Robert Hodgson a analysé 4000 vins inscrits dans treize concours américains. Il a voulu savoir quelles chances un vin médaillé d’or dans un concours A avait de remporter une médaille dans un concours B. Il en déduit que les médailles d’or sont aléatoires puisque le fait de gagner une distinction dans un concours n’augmente pas de façon significative celle d’en gagner une dans une autre compétition. «Une conclusion douteuse» diront les esprits forts qui ajouteront que mettre tous les concours sur un pied d’égalité décrédibilise toute la méthodologie. En effet, gagner une médaille de bronze aux championnats suisses ne vous garantit pas un podium aux Jeux Olympiques. En outre, même lorsque les concurrents restent les mêmes, une troisième place à la première course de l’hiver n’est pas une garantie pour la suite de la saison. On peut donc faire la même analyse pour n’importe quel sport et le déclarer aléatoires puisque le gain d’une médaille dans une compétition ne présuppose pas de lauriers dans une autre.
En revanche, la question de la pertinence des médailles pour les consommateurs a été peu étudiée. En 2012, des chercheurs de l’Ecole d’Ingénieurs de Changins et des Maison du Goût-Actilait de Bourg-en-Bresse se sont demandé si la notation et les descriptions sensorielles des jurys de concours sont pertinentes, si les vins médaillés sont les préférés des consommateurs et si les descripteurs – positifs ou négatifs – se révèlent identiques chez les professionnels et les amateurs. «Les mauvais vins sont toujours identifiés comme mauvais, et les bons comme bons», résume Pascale Deneulin, responsable du projet pour l’Ecole d’Ingénieurs de Changins. Pour cette étude, douze vins blancs et douze vins rouges évalués au Concours des 7 Ceps (dont les pointages s’étageaient entre 57,5 et 90,0 points sur 100) ont été présentés à un panel de consommateurs spécialement entraînés à l’analyse sensorielle ainsi qu’à deux groupes de consommateurs de cent personnes chacun, l’un composé de Suisses, l’autre de Français.
Nous les avons rencontrées
«Il n’y pas de différence significative entre les deux nationalités. Ni entre hommes et femmes, ou entre jeunes et personne plus âgées. Par contre, le niveau de connaissance du vin joue un rôle. Plus un sujet apprécie le vin, plus il achète ses vins chez des cavistes ou directement chez les vignerons, plus son goût se rapproche de celui des professionnels. A l’inverse, plus les consommateurs achètent leur vin en grand surface, plus leur avis diverge des jurys de concours. On peut donc en déduire que les concours possèdent un véritable rôle éducatif et prescripteur» poursuit l’enseignante de la haute école romande.
«Les dégustateurs du Trophée des 7 Ceps ne donnent pas qu’une note, ils détaillent leurs impressions en indiquant l’intensité d’une douzaine de descripteur (ce vin est-il un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout sucré, acide, animal, végétal, astringent, alcooleux, etc.). Ces avis nous donnent une cartographie des vins en lien avec leur note finale. On peut ensuite comparer ces descripteurs au notes obtenues par les panels entraînés pour voir si la perception des vins est identique entre des «panels formatés» et les jurys de concours», explique Pascale Deneulin. Conclusion, la majorité des descripteurs sont homogènes dans les deux groupes témoins. Les notes florales, fruitées, empyreumatiques (boisé) et les notions d’acidité, de sucré, de gras et de persistance, mais aussi le végétal dans les vins rouges ont globalement le même sens pour tous. En ce qui concerne la minéralité, la perception de l’alcool, les notes lactées ou l’amertume, les résultats montrent qu’il s’agit de notions beaucoup plus floues.
Autre conclusion, et peut-être la plus intéressante, la corrélation entre note élevée (un bon vin) et présence d’un descripteur (j’aime ce vin parce qu’il est fruité, tannique ou animal). Là encore, les caractéristiques positives ou négatives associées à un vin primé s’avèrent très similaires – à l’exception notable de la persistance – chez les consommateurs et chez les professionnels. «Sucré», «gras» et «fruité» voilà les composantes d’un bon vin rouge. Parmi les descripteurs qui péjore un vin, on trouve l’acidité ainsi que les arômes végétaux. Du côté des blancs, «floral», «fruité» et «sucré» remportent tous les suffrages tandis que le végétal, les notes animales et l’acidité ont un impact négatif.
Rappelons que ces vins fruités avec de la sucrosité ne sont pas plébiscités par des dégustateurs novices du Nouveau-Monde, mais bien par des palais éduqués de la région lémanique (France et Suisse) qui déclareraient peut-être, s’ils étaient interrogés sur leurs goûts personnels, privilégier la finesse et l’élégance. Mais pour s’en assurer, une nouvelle étude serait nécessaire…
Pour retourner aux sources
Promotion des vins du pourtour du Mont-Blanc par valorisation novatrice de données sensorielles. Opération sélectionnée dans le cadre du programme de coopération territoriale européenne INTERREG IV France-Suisse 2007-2013 et réalisée par l’Ecole d’Ingénieurs de Changins (Pascale Deneulin, Christian Guyot, Eve Danthe), Actilait-Les Maisons du Goût (Jean-François Clément, Jean-Christophe Perrin, Sylvie Potier, Jean-Michel Herodet) et le Concours des 7 Ceps (Jean Dumont, Yves Paquier).
An analisys of the concordance among 13 U.S. wine competitions Robert T. Hodgson, Journal of wine economics, volume 4, issue 1, spring 2009.
Cet article est paru dans la rubrique Science de l’édition mai/juin 2013 de VINUM.