Gouais: le cépage de l’Ancien Régime
Il y eut une époque où le Gouais s’épanouissait dans une grande partie de l’Europe, des Pyrénées à l’embouchure du Danube. Son ancienneté est confirmée par les recherches linguistiques puisque que sa présence est attestées sous une centaine de patronymes différents. Ce qui signifie, qu’il était présent depuis assez longtemps pour que son nom original soit oublié et qu’il lui soit attribué une nouvelle appellation. Plusieurs de ses pseudonymes indiquent la faible estime en laquelle les vignerons le tenaient: son surnom de Bouilleaud, signifierait qu’il convient pour la distillation; Sabouel-boey (patois landais pour rassasie-bouvier) image sa productivité; Heunisch, comme on l’appelle dans les régions germanique, désigne des variétés de mauvaise qualité. Quand à son nom officiel, le Gouais, il viendrait soit de gou, un adjectif indiquant le mépris, soit de gueux…
La disparition du Gouais permet d’appréhender les évolutions qui ont marqué le vignoble européen. Avant le 19e siècle, peu de textes écrits traitent de l’encépagement. Il existe quelques écrits fameux comme le Registre d’Anniviers qui relate la vente d’une parcelle de Rèze, d’Humagne et de Rouge ou un édit de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne qui condamne le Gamay ce «très mauvais et très déloyal plant(…) duquel mauvais plant vient très grande abondance de vins (…) de telle nature qu’il est moult nuisible à créature humaine» et demande qu’on le remplace par du Pinot. Mais, pour se faire une idée de la viticulture d’avant le phylloxéra, il s’avère nécessaire d’user d’imagination.
On sait qu’avant l’arrivée de l’insecte ravageur venu d’Amérique, le vignoble suisse occupait plus de 30’000 hectares, soit le double de sa surface actuelle. La plus grande région viticole était alors Zürich et le Valais ne comptait alors que 1000 hectares de vignes. Aujourd’hui, le Vieux-Pays compte cinq fois plus d’espace dédié à Vitis Vitifera et la Suisse Allemande n’a plus qu’une production anecdotique. Le paysage d’alors ne ressemblait en rien à ces lignes bien régulières que nous pouvons observer. La vigne était plantée en foule, de manière serrée et désordonnée, et les plants se développaient par marcotage, qui consiste à planter une branche d’une vigne dans la terre pour qu’elle s’y enracine et donne naissance à un nouveau cep. Cette technique qui tisait une toile végétale dense amenait diverses variétés à s’entrecroiser. On trouvait donc dans une même parcelle plusieurs cépages blancs et rouges, qui bien souvent étaient vendangés puis vinifiés ensemble.
L’arrivée du phylloxéra marque une révolution vitivinicole. Face à cette destruction totale, deux solutions sont envisagées par les paysans. Une majorité d’entre eux jette l’éponge et se lance dans d’autres cultures. Les autres, qui persistent à demeurer vignerons, replantent leurs terres selon des critères précis: à chaque parcelle est attribué une variété particulière, le marcotage disparaît pour laisser place à des plants entés sur des portes-greffes résistants, les cépages peu productifs, virosés ou alternants disparaissent peu à peu pour des variétés plus simples à travailler. Cette modernisation sonne ainsi le glas de notre Gouais qui n’a survécu que par l’obstination, voire peut-être le manque de connaissances, de quelques originaux.