Et de deux… (Vin suisse et dormition: épisode 9)

Vin suisse et dormition : épisode 9 26 mars 2020

Pianoter sur son ordinateur, travailler sur les mandats qui n’ont pas encore disparu, préparer l’apéro familial, regarder les conférences de presse du Conseil Fédéral (en pestant sur le fait qu’elles sont retransmises sur le deuxième canal tandis que RTS diffuse des téléfilms débiles) et sortie matinales avec Mademoiselle : une nouvelle routine a vu le jour et on en viendrait à se dire que, somme toute, ce n’est pas si désagréable. Si le coronavirus est la catastrophe qui doit toucher notre génération, on a plutôt de la chance par rapport à ceux qui ont traversé des épidémies de choléra, de tremblements de terres ou des périodes de guerre. Du moins jusqu’à ce qu’un message vous annonce qu’un ami, qu’un confrère ou qu’un collègue est à l’hôpital. Premier annonce hier, deuxième ce matin… et je crains que ce très déplaisant décompte qui ramène brutalement à la réalité ne fasse que commencer !

La bouteille du jour
La dormition causée par le coronavirus va porter un coup très rude à un vignoble suisse déjà touché par la crise. Afin d’apporter un maigre soutien aux vignerons sur lesquels j’écris depuis quinze ans, j’ai décidé d’ouvrir une bouteille de vin suisse par jour de confinement (deux précisions: j’ai dit ouvrir, pas forcément finir, et vu que ma cave compte près de 600 bouteilles de vin suisse, je ne crains pas trop de tomber à sec).

Traminer 2017 Domaine le Petit Château
Dans le Vully, cette fantastique appellation entre les lacs de Neuchâtel et de Morat, on appelle Traminer ce cépage que le reste du monde connaît sous l’appellation Gewürztraminer. Avec quelques saisons de bouteilles, cette spécialité expressive se montre très à son aise. La robe est dorée. Le nez expressif mêle des notes florales de rose à des arômes de curry, de curcuma et de safran. En bouche, on apprécie le volume conséquent pour un traminer et les notes minérales qui étincellent dans la finale expressive.

Un peu de culture sur le vignoble suisse
Le vignoble de Visperterminen est un défi : à la nature, à la raison, à la logique économique et au bon sens! Accroché sur une pente rocheuse plus adaptée aux pieds légers des chamois qu’aux porteurs de vendange, composé de terrasses en pierres sèches construites au prix d’efforts démentiels pour n’abriter parfois qu’une dizaine de ceps, situé entre 650 et 1150 mètres au-dessus du niveau de la mer en dépit des conditions extrêmes que ces altitudes impliquent, ce vignoble héroïque raconte le combat engagé depuis deux millénaires par des montagnards opiniâtres contre une nature austère.

Notre dossier sur le seul vin pré-phylloxérique de Suisse disponible sur le marché.

Journaliste sur le vin, spécialisé sur le vignoble helvétique, j’habite à Montreux. Mi-mars 2020, cette petite ville animée sur les bords du Lac Léman est entrée, comme le reste du pays, en dormition (un terme religieux qui désigne une mort sans souffrances)  pour cause d’épidémie de coronavirus. Travailleur indépendant, rédacteur en chef de l’édition francophone de VINUM, père d’une petite fille de trois ans, président d’un concours international (le Mondial du Chasselas), je dois désormais réorganiser à peu près tous les pans de ma vie privée et professionnelle. Traverser le confinement, et survivre au cataclysme économique qui le suivra, va être une aventure exigeante dont ce journal de bord entend garder la trace.
Alexandre Truffer

Cet article est paru dans le dossier Premiers Grands Cru du hors-série Vaud 2017.

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