De la terre au verre
La composition du sol, le climat ou la pente font partie de ces éléments qui influencent la vigne et le vin sur lesquels l’homme n’a qu’une emprise limitée. Parfois regroupés sous le terme ambigu de «terroir», ces éléments constituent un univers complexe que nous sommes efforcés de démêler dans ce dossier consacré aux éléments naturels qui ont donné sa forme actuelle au vignoble suisse.
«D’un point de vue géologique, la Suisse se divise en trois régions complètement différentes: le Jura, le Moyen-Pays et les Alpes, avec les Préalpes. Cependant, la Suisse est tout de même marquée par un événement extraordinaire, la formation des Alpes, explique le géologue Thomas Mumenthaler. La molasse qui couvre le Plateau suisse résulte de l’érosion des Alpes. Les ondulations calcaires du Jura ont été formées par la poussée du massif alpin. On se retrouve donc avec des situations très hétérogènes, toutes influencées malgré tout par un événement commun.» Chaîne de montagne européenne qui forme une barrière de 1200 kilomètres entre la mer Méditerrannée et le bassin du Danube, les Alpes s’étalent sur huit pays : la Slovénie, l’Autriche, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse, le Liechtenstein, la France et Monaco. On y recense 82 sommets culminant à plus de 4000 mètres d’altitude. Si le plus haut d’entre eux, le Mont-Blanc (4809 mètres) se trouve en France, la majorité d’entre eux (48) se trouvent sur le territoire helvétique.
Les Alpes: métis d’Europe et d’Afrique
«La surface de la terre est divisée en plaques tectoniques qui bougent les unes par rapport aux autres. Les Alpes résultent de migration de la plaque africaine qui s’avance vers le nord et grimpe sur la plaque européenne. C’est ce déplacement qui va provoquer la surrection, ou le soulèvement, des Alpes. Le Valais est une zone de suture. En passant d’une rive à l’autre du Rhône, on peut dire un peu poétiquement que l’on passe d’une zone européenne à une zone africaine. Il faut comprendre que les mouvements des plaques tectoniques ne sont pas immuables, poursuit le Docteur ès Sciences. Ils peuvent s’accélérer, se modifier et s’inverser. Avant la formation des Alpes, il y a une période durant laquelle les plaques africaines et européennes se sont éloignées l’une de l’autre. Ce qui a formé entre ces deux plaques des mers dans lesquelles se sont déposés de nombreux sédiments qui ont été plissés, repliés et projetés vers le nord lorsque l’Afrique et l’Europe ont commencé à se rapprocher.» Dans leur jeunesse, les Alpes atteignaient des hauteurs bien plus importantes qu’aujourd’hui et les sommets les plus élevés culminaient peut-être à huit ou dix mille mètres d’altitude. La pluie et le vent ont contribué à son érosion au fil des millénaires.
De mer de glace à mer de vigne
«Il faut comprendre que le soulèvement des Alpes a créé un mouvement inverse dans ce qui est aujourd’hui le Plateau suisse. Celui-ci s’est creusé pour devenir une mer qui a peu à peu été remplie par des sédiments – qui se sont parfois empilé sur près d’un kilomètre de haut – venus des Alpes.» A l’échelle humaine, l’activité des plaques tectoniques n’est perceptible que par des manifestations sismiques ou volcaniques. Les Alpes helvétiques, qui bougent d’environ un millimètre par an connaissent relativement peu de tremblements de terre d’importance et n’ont pas de volcans. Par contre, leur relief a été fortement influencé par les diverses glaciations qui ont recouvert notre pays de glace à des époques relativement récentes sur un plan géologique. «L’une des particularités du vignoble suisse est d’avoir été fortement impacté par les dernières glaciations. Ce qui n’est pas le cas pour la plupart des grandes régions viticoles qui n’ont en général été que très peu impactées par l’action des glaciers. Le dernier retrait glaciaire a eu lieu, dans nos régions, il y a quelque 15 000 ans », précise Thomas Mummenthaler.
Sol inné et sous-sol acquis
On peut se demander ce qui influence les sols sur lesquels se plaisent les vignobles helvétiques. La finesse d’un Chasselas ou l’élégance d’un Pinot Noir trouvent-ils leur origine dans l’action très lente et très ancienne des plaques tectoniques ou sont-ils dus aux évolutions beaucoup plus récentes du climat? «Tous deux jouent un rôle important, répond le géologue. Il y a un héritage ancien qui joue un rôle et conditionne la présence de calcaire, de granit ou d’alluvions. Mais le processus de formation des sols est influencé par des phénomènes plus récents comme par exemple la décomposition de la matière organique et l’action de l’eau. En ce qui concerne la vigne, les racines descendent très profondément et ont des interactions avec le sol (la partie supérieure influencée par la végétation et les actions humaines) et le sous-sol (roche-mère peu altérée par les influences extérieures).» Là encore, notre interlocuteur pointe la diversité des situations rencontrées: «Dans certains cas extrêmes, il n’y a par exemple que quelques centimètres d’humus avant de rencontrer la roche mère. A l’inverse, dans les sols sablonneux et relativement perméables du Plateau suisse, l’action de la matière organique va dissoudre le calcaire. Ainsi, bien que l’on soit sur des sous-sols à forte dominante calcaire, il n’y a plus trace de celui-ci dans les quatre à cinq premiers mètres de profondeur. Ce qui change énormément le caractère du sol, car un sol calcaire est basique, d’un point de vue chimique, tandis qu’une zone dépourvue de calcaire sera acide.»
Sans oublier le vent, la gravité et les hommes
Les sols helvétiques ont fait l’objet de nombreuses études. Les terroirs viticoles des différentes régions du pays ont d’ailleurs été étudiés avec précisions ces dernières années. Ces documents sont malheureusement difficiles à vulgariser, car la diversité des types rencontrés augmente au fur et à mesure que l’on affine la recherche. «On parle d’une quinzaine de grandes catégories de sols, explique Thomas Mummenthaler. Mais on peut aussi multiplier les catégories à l’infini, car à cause du passé tourmenté de la région, deux ceps plantés à quelques dizaines de mètres de distance peuvent pousser dans deux sols complètement différents.» Outre les mouvements telluriques et les glaciations, d’autres éléments peuvent donner naissance à des sols particuliers. Les sols de loess par exemple, «qu’on trouve en Valais. Ils ont été créés à la fin de la dernière glaciation par les vents qui ont érodés les sols sans végétation et transporté des grandes quantités de poussière qui se sont accumulés en des endroits bien délimités». Idem pour les éboulements : «là encore, il faut remonter à la fin de la dernière glaciation, explique notre géologue. Les glaciers s’appuyaient contre les flancs des montagnes, après leur retrait, ceux-ci sont devenus instables. Ce qui a provoqué de nombreux éboulements dont le plus grand est celui de Sierre et Salquenen, ce qui explique les collines et le caractère très calcaires des sols de la région.» Quant aux schistes, très appréciés des viticulteurs, «ce sont des sédiments, principalement composés de minéraux argileux et limoneux, qui sous l’action de la température et de la pression, se sont transformés en roches plus stables et moins actives sur le plan chimique.» Enfin, il ne faut jamais oublier l’influence de l’homme. Une partie non-négligeable des vignobles suisse sont construit sur des terrasses qui ont été aménagées par les vignerons afin de gagner des espaces cultivables et de casser la pente. Ces sols artificiels, dont la construction est assez mal documentée, ont donné naissance à certains des plus beaux et des plus célèbres vignobles du pays, rappelant que le facteur humain reste toujours prépondérant dans cette magnifique métamorphose qui donne naissance à la plus noble des boissons.
Alexandre Truffer
Cet article est paru dans le dossier Terroir du hors-série Vaud 2017
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