Chiffres irrationnels, problèmes réels (vin suisse et dormition: épisode 29)
Vin suisse et dormition : épisode 29 21 avril 2020
Un nombre irrationnel est un nombre qui ne peut être mis sous la forme d’un rapport entre deux nombres entiers, à l’exemple du nombre Pi. Si cette notion est connue depuis l’antiquité grecque, le coronavirus a remis au goût du jour les chiffres irrationnels. Si le prix devenu négatifs sur les contrats de pétrole en est le plus criant exemple, on peut aussi citer des plans de relance qui se calculent en centaines de trillions ou 30% de gain sur le Dow Jones tandis que les USA comptabilisent en un mois deux fois plus de chômeurs que lors de la Grande Dépression. Objectivement absurdes, l’apparition de ces chiffres laisse tout de même songeurs. Le monde a déjà connu des chiffres irrationnels – coût de la vie multiplié par 1400 milliards entre 1914 et 1923 en Allemagne, inflation mensuelle de 80 milliards de pourcents au Zimbabwe en 2008 – qui n’ont jamais remis en cause le modèle économique, ni auguré de lendemains meilleurs.
La bouteille du jour
La dormition causée par le coronavirus va porter un coup très rude à un vignoble suisse déjà touché par la crise. Afin d’apporter un maigre soutien aux vignerons sur lesquels j’écris depuis quinze ans, j’ai décidé d’ouvrir une bouteille de vin suisse par jour de confinement (deux précisions: j’ai dit ouvrir, pas forcément finir, et vu que ma cave compte près de 600 bouteilles de vin suisse, je ne crains pas trop de tomber à sec).
Aurore de Gamay 2013 Cave des Treize Coteaux
Nominé au Grand Prix du Vin 2015, ce Gamay élevé sous bois nous a séduit par une patine élégante déposée sur une cuvée structurée et fruitée. De légères notes de sous-bois et de cuir se mêlent à la cardamome, au pruneau et à la cerise. La bouche possède une aromatique similaire, un volume conséquent et un jus soyeux. En finale, les notes d’élevage se font très discrètes et laissent le champ au fruité du cépage.
Un peu de culture sur le vignoble suisse
Sans doute le plus célèbre terroir du Chablais, l’Ovaille est né d’un événement tragique. Début mars, les flancs de la montagne surplombant les villages de Corbeyrier et Yvorne fragilisés par les mouvements telluriques cèdent et dévalent la falaise. Le premier est rasé en quelques secondes à l’exception d’une demeure miraculeusement épargnée. Après Corbeyrier, le glissement de terrain gagne encore en furie et s’abat sur le village d’Yvorne. Les hommes étant aux champs, la centaine de victimes se compose surtout de femmes et d’enfants. Quatre caves, six granges et soixante-neuf maisons sont emportées ainsi que plusieurs centaines de têtes de bétail. Ce terroir d’éboulis sera peu à peu transformé en vignoble sur lequel naissent quelques-uns des plus grands vins vaudois.
Le deuxième épisode de notre dossier sur l’histoire du vignoble vaudois vu au travers de ses Premiers Grands Crus.
Journaliste sur le vin, spécialisé sur le vignoble helvétique, j’habite à Montreux. Mi-mars 2020, cette petite ville animée sur les bords du Lac Léman est entrée, comme le reste du pays, en dormition (un terme religieux qui désigne une mort sans souffrances) pour cause d’épidémie de coronavirus. Travailleur indépendant, rédacteur en chef de l’édition francophone de VINUM, père d’une petite fille de trois ans, président d’un concours international (le Mondial du Chasselas), je dois désormais réorganiser à peu près tous les pans de ma vie privée et professionnelle. Traverser le confinement, et survivre au cataclysme économique qui le suivra, va être une aventure exigeante dont ce journal de bord entend garder la trace.
Alexandre Truffer
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