Châteaux viticoles suisses

Forteresses médiévales, palais de l’époque moderne, maisons de maître du 18^e siècle ou manoirs aristocratiques: les douze châteaux présentés dans cette double page ont acquis le statut d’icônes emblématiques du vignoble helvétique. Si certains ont abrité cave et pressoirs depuis plusieurs, d’autres n’ont qu’un lien plus lointain avec le vin souvent développé ces dernières décennies avec l’essor de l’oenotourisme. Toutefois, à la différence de Bordeaux où l’appellation «Château» est simplement synonyme d’exploitation viticole, les termes Château, Schloss et Castello que l’on peut en Suisse rencontrer sur des étiquettes de vin sont soumis a diverses législations viticoles, qui imposent un lien direct avec un bâtiment historiquement ou traditionnellement désigné comme château.

Genève
Château des Bois
Construit en 1631 par Jean Turrettini, membre d’une importante famille de l’aristocratie genevoise, le Château des Bois se trouve sur le territoire de la commune de Satigny. Demeure de plaisance, sans vocation guerrière, ce manoir n’en est pas moins un lieu de pouvoir. Le châtelain possède un droit de basse, de moyenne et de haute justice, ce qui signifie qu’il peut juger tout type de délit, y compris ceux passibles de la peine de mort, châtiment dont l’application a lieu sur ses terres. Entouré d’un domaine de 110 hectares, dont la moitié composé de forêts, le domaine abrite des vignes depuis toujours. La commercialisation de vins à l’étiquette du château ne date toutefois que d’une vingtaine d’années.

Château du Crest
Bâti aux alentours de 1220 sur les terres de l’Evêque de Genève, le château est confié à des vassaux de ce dignitaire ecclésiastique. Lors de la Réforme, il se retrouve au cœur des conflits entre la ville, devenue protestante, et la Savoie. Détruit en 1590, il sera rebâti vingt ans plus tard par Agrippa d’Aubigné, célèbre poète français réfugié à Genève. A la mort de l’écrivain, le domaine sera acquis par la famille Micheli du Crest, à qui le château appartient toujours aujourd’hui. Sans doute séculaire, la vinification de la récolte au domaine a repris en 1994 après s’est arrêtée une quarantaine d’années plus tôt, quand les propriétaires se mirent à livrer la vendange à la coopérative.

Neuchâtel
Château d’Auvernier
Vinifiant un dixième de la production neuchâteloise, ce manoir érigé en 1559 par Blaise Junod, compte parmi les étiquettes les plus célèbres du vignoble suisse. La profondeur et les dimensions des grandes caves construites en même temps que le bâtiment originel indiquent que cette gentilhommière a toujours eu une vocation viticole. En plus de quatre siècles, elles ne seront modifiées que deux fois. En 1878, lors de la première correction des eaux du Jura qui fait reculer les berges du lac de Neuchâtel et permet aux propriétaires de faire agrandir les chais. Et plus d’un siècle plus tard, lorsque Thierry Grosjean, l’actuel châtelain, fait construire un chai à barrique.

Château de Boudry
Datant de la fin du Moyen-Âge, cette forteresse a connu de multiples transformations, démolitions et reconstructions. A partir du 15^e siècle, il commence à se délabrer et devient une charge pour ses divers propriétaires. Des amoureux du vin fondent en 1951 la Confrérie des Vignolants et proposent de transformer le bâtiment en un musée de la vigne et du vin. Après plusieurs années de restauration, le château se transforme en ambassade des produits du terroir neuchâtelois. Il abrite une œnothèque recensant la plupart des vins du canton et accueille le premier musée de Suisse consacré à Bacchus.

Vaud
Château d’Aigle
Les premières sources écrites mentionnant le Château d’Aigle datent de 1476, mais les traces d’occupation les plus anciennes remontent à l’époque romaine. Forteresse, centre administratif, prison, le bâtiment est transformée en musée de la vigne et du vin après l’exposition nationale de 1964. Ayant modernisé sa muséographie ces dernières années, il accueille chaque année le Mondial du Chasselas. Les vignes, qui entourent sans doute le château depuis un millénaire ont été vendues en 1804 à des propriétaires privés. Leurs raisins, du Chasselas en grande majorité, entre en grande partie dans l’Aigle Les Murailles le premier vin blanc suisse en notoriété et en volume.

Château de Vufflens
Impressionnante forteresse médiévale composée de deux ensembles architecturaux distincts reliés par des remparts, ce monument emblématique de La Côte appartient à la même famille depuis quatre siècles. En plus du château, les de Saussure possèdent huit hectares de vignes dont la production est vinifiée et élevée au Château par la maison Bolle. Les cinq crus aux couleurs de cet impressionnant témoin du passé portent tous l’étiquette de Clos, Domaines et Châteaux. Crée sous l’impulsion de l’entreprise Schenk, le principal négociant suisse de vin, cette association vaudoise regroupe une vingtaine d’exploitations viticoles abritant un patrimoine architectural et historique remarquable.

Valais
Château de Ravire
Tour de guet surplombant la colline des Bernunes et le Rhône, le château de Ravire n’a de médiéval que son apparence. Construit par un notable fribourgeois en 1891 pour servir de résidence secondaire, le bâtiment est en partie érigé avec les ruines d’un ancien poste d’observation fortifié construit et 1412 et détruit cinq ans plus tard. En 1954, Etienne Savioz rachète bâtiment qu’il entoure d’un vignoble d’un seul tenant. Son fils, Michel, poursuit la vinification au domaine des spécialités du Clos du Château de Ravire. Amoureux des traditions valaisannes, il est le seul producteur à commercialiser un Vin des Glaciers en bouteilles.

Château de Villa
Etape incontournable de l’oenotourisme valaisan, le Château de Villa a été édifié au milieu du 16^e siècle. Ce manoir sera sauvé de la décrépitude après la Deuxième Guerre Mondiale par des notables sierrois qui convainquent la commune de donner au lieu une fonction d’ambassadeur des produits du terroir et de la culture de la région. Un demi-siècle plus tard et pas mal de péripéties plus tard, le «château» accueille un restaurant, une œnothèque offrant quelque 600 références, un espace de dégustation et l’annexe sierroise du Musée valaisan de la Vigne et du Vin.

Tessin
Castello di Morcote
Tour de vigie romaine, forteresse lombarde, modernisée par le duché de Milan, le Castello di Morcote est l’unique place-forte médiévale du Sottoceneri à avoir survécu à l’histoire mouvementée de la région. Entouré d’un domaine agricole de 170 hectares, le domaine a toujours abrité un vignoble spectaculaire. Celui-ci a d’ailleurs accueilli les premiers essais de Merlot au début du 20^e siècle. En difficulté à la fin des années 1980, le domaine a été repris en main. Le vignoble en pente a été modernisé, la gamme a été diversifiée et un restaurant qui propose les vins et les huiles d’olive de l’exploitation a été construit dans une dépendance.

Castello Luigi
En 1988, Luigi Zanini acquiert une propriété viticole dans la commune de Besazio, au sud du Tessin. Dix ans plus tard, il décide de démolir la vieille ferme sise au cœur du domaine et fait construire cette demeure monumentale très vite baptisée le «Castello Luigi». Le bâtiment sert d’écrin à la cave hélicoïdale enterré sur près de vingt mètres de profondeur. La disposition des lieux permet de réaliser toutes les opérations de vinification uniquement par gravité et d’épargner à la vendange, puis au vin, tout traumatisme causé par les vibrations mécaniques résultant de l’utilisation de pompes.

Suisse alémanique
Schloss Reichenau
Au confluent des Rhin postérieur et antérieur, ce bâtiment remarquable a acquis son aspect actuel au 19^e siècle suite aux transformations d’une seigneurie construite sans doute deux siècles plus tôt. Demeure aristocratique, ce manoir qui mélange les influences baroques, rococo et néoclassiques appartient à la famille von Tscharner qui exploite un petit vignoble d’un peu plus de cinq hectares. Très appréciés pour des événements et des séminaires, le domaine propose de nombreuses animations autour des vins et des asperges, l’autre spécialité de la famille.

Schloss Salenegg
Du 16^e au 18^e, cette demeure seigneuriale va s’agrandir au gré des besoins et des envies des châtelains, tous issus de la même famille. Toutefois, le complexe architectural et le vignoble revendiquent des origines beaucoup plus anciennes. Les Pinot Noir et autres spécialités de cette exploitation de onze hectares au cœur des Grisons affichent une contre-étiquette indiquant que depuis 1068, des vignes sont cultivés et des vins produits naturellement dans ce qui est l’un des plus anciens domaines viticoles d’Europe.
Alexandre Truffer

Cet article est paru en compagnie de l’article Sur cette pierre, je bâtirai mon vignoble dans le dossier architecture du hors-série Genève 2017

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