Calamin: le joyau caché de Lavaux
Sur les sept derniers Lauriers de Platine, cinq Calamin se sont classés parmi les quatre finalistes. Au Mondial du Chasselas, Le Calamin La Béguine 2016 de J.&M. Dizerens termine deuxième (sur 646) à deux centièmes de point du vainqueur. Lors des deux éditions précédentes de cette compétition, un représentant de la plus petite appellation vaudoise réussissait aussi à se hisser dans les places d’honneur. Une régularité d’autant plus impressionnante – l’appellation ne représente que 0,5% du vignoble vaudois – que ces huit lauréats sont vinifiés par sept producteurs différents. On ne parle donc pas ici du talent d’un vigneron ou de la précision d’un œnologue, mais bien d’une appellation dont les caractéristiques sont, sinon reconnues, du moins appréciées, par les spécialistes du vin vaudois.
Le choix des connaisseurs
Grégoire Dubois, président du groupement de promotion de Calamin, rattaché à Epesses explique que «le Calamin est apprécié d’une clientèle de connaisseurs. Sa rareté, consécutive à la petite taille de l’appellation, en fait un vin recherché par les sommeliers qui veulent mettre à leur carte des cuvées que l’on ne retrouve pas en grande surface.» Il y a trois ans, Christian Dubois, le père de Grégoire, déclarait: «Les terres lourdes et argileuses garantissent une vendange de qualité en quantité. Avant l’introduction des quotas de production, une vigne en Calamin donnait aisément deux fois plus de récolte que sa cousine d’Epesses. Et la qualité suivait sans qu’il faille trop se casser la tête… Aujourd’hui, la limitation des rendements a encore renforcé la structure et la race des Calamin qui s’éloignent toujours plus de l’Epesses pour se rapprocher du Dézaley. Moins élégants que ces derniers, les Calamin sont des vins plus virils, plus corsés, plus puissants, qui affichent un potentiel de vieillissement intéressant. Ces caractéristiques en font une spécialité toujours plus demandée par notre clientèle avide de curiosités typées. Et cela se voit sur le prix du raisin: en Calamin, il n’y a pas de marché de vrac et la différence de prix avec l’Epesses (qui était de 50 centimes par litre de 1980 à 2005) a doublé». Grégoire confirme que le positionnement du Calamin s’est renforcé: il demeure en dessous du Dézaley, avec lequel il partage une AOC Grand Cru depuis mars 2013, mais bien au-dessus des autres appellations de Lavaux.
Pour les fans de glisse
Contenant beaucoup d’argile et de limon, les terres lourdes de Calamin sont le résultat d’un glissement de terrain qui aurait eu lieu il y a plus d’un millénaire. Selon l’historien vaudois Benjamin Dumur (1838-1915) : «A une époque que l’on ne peut préciser, mais qui est en tout cas fort ancienne, il se produisit au lieu-dit la Cornallaz une longue déchirure et un affaissement du sol. Tout le village d’Epesses glissa et descendit à quelques centaines de pas au-dessous de son emplacement primitif, mais, chose étrange, sans qu’il en résultât un dommage quelconque pour les habitants et leurs maisons.» La légende veut que le seul à n’avoir pas bougé durant l’incident ait été un bouc attaché à un piquet. Le spectacle de l’animal bêlant sa stupeur de voir sa harde surfant avec le reste du village aurait marqué les esprits et valu aux habitants d’Epesses leur surnom de «boucs». Quant à Calamin, le mot viendrait du verbe caler et signifierait «là où la terre s’est arrêtée». Si l’étymologie n’est pas confirmée, les sols de la plus petite AOC vaudoises se composent bien d’argiles profondes tombées de la Cornallaz, cette crête qui surplombe Lavaux. Le sol demeure d’ailleurs relativement instable et a nécessité des travaux réguliers de soutènement et de stabilisation au cours des deux derniers siècles.
L’épine d’Epesses
Calamin est indissociablement lié au village d’Epesses: un vin de Calamin déclassé reçoit automatiquement l’appellation Epesses et les vignes de l’AOC Grand Cru appartiennent quasi exclusivement aux vignerons de ce village. Ceux-ci n’aiment d’ailleurs pas beaucoup évoquer les circonstances qui ont valu à notre rectangle de 16 hectares de rejoindre Dézaley au sommet de la pyramide de qualité du vignoble vaudois. Jusqu’en 1963, Calamin ne fait pas l’objet d’une règlementation spécifique. Cette année-là, les vignerons des villages de Riex et Cully reçoivent l’autorisation d’utiliser le nom d’Epesses, plus vendeur. En contrepartie, les producteurs d’Epesses obtiennent que les terres situées en-dessous du village, qui sont les plus productives, deviennent un Grand Cru à l’égal du Dézaley. Une partie des parcelles historiquement considérées comme faisant partie du Calamin, mais situées sur la commune de Riex, seront d’ailleurs écartées de l’appellation Grand Cru. Ce déclassement sonnera de fait le glas de deux Calamin réputés, le Calamin de la Cave de la Bourgeoisie de Fribourg (devenu un Epesses) et le Coup de l’Etrier de la maison Testuz (aujourd’hui un Lavaux AOC).
Avoisinant les 200 000 bouteilles annuelles d’un blanc de gastronomie typé doté d’un bon potentiel de garde, l’AOC Grand Cru Calamin pourrait devenir un Chasselas exclusif, sans être anecdotique. Plusieurs raisons - qui vont des vues divergentes des vignerons aux faibles volumes produits en passant par la peur de cannibaliser la notoriété du Dézaley – ont maintenu jusqu’à aujourd’hui la communication à un niveau presque inexistant. Et comme rien n’indique que la situation va changer, le Calamin va sans doute conserver encore longtemps son statut de curiosité quelque peu mystérieuse réservée aux amateurs avertis.
Cet article fait partie d’un dossier paru dans le Guillon N° 51 d’automne 2017.