Andorre: nouvel Olympe viticole

En 1992, Michel Martzluff et Sergi Mas de l’Institut d’Etudes Andorranes rédigent «Pressoirs et vignes d’Andorre», dans lequel ils détaillent l’histoire morcelée de ce vignoble millénaire, constatent la présence de nombreuses reliques liées à la culture de Vitis Vitifera (noms de lieux, pierres taillées caractéristiques de pressoirs médiévaux) et recensent quelques treilles accrochées à des murs en pierres sèches. Les deux scientifiques considèrent alors la viticulture comme une activité agricole disparue. Pourtant, cela fait cinq ans qu’une famille de cultivateurs de tabac a planté de la vigne à plus de 1000 mètres d’altitude près de la maison familiale. «En 1987, nous avons décidé de mettre un  terme à la monoculture du tabac, explique Joan Visa Tor. Un document trouvé dans les archives familiales faisait état d’une vigne achetée près d’une chapelle. Nous avons commencé à planter diverses variétés.» Après des années d’études du climat, du terrain et de la faisabilité du projet, ce pionnier plante un hectare de Gewürztraminer en 2004. Deux ans plus tard, il récolte sa première vendange et agrandit son vignoble d’un demi-hectare. «Situé au sud des Pyrénées, Andorre bénéficie d’un ensoleillement conséquent, mais son altitude moyenne ne nous permet pas de planter les variétés traditionnelles de la Catalogne ou du sud de la France. Pour obtenir des résultats intéressants, il fallait se tourner vers des cépages de régions plutôt froides que nous avons plantés dans des parcelles idéalement exposées», poursuit Joan Visa Tor.

Joan Visa Tor Casa Beal, Andorre Photo: màd Casa Beal

Joan Visa Tor
Casa Beal, Andorre
Photo: màd Casa Beal

Casa Beal: le pionnier
En visitant le domaine Casa Beal, je suis d’abord frappé par les magnifiques terrasses sur lesquelles sont alignées des vignes tirées au cordeau. Soudain, une cavité ovale attire mon attention. Remplie de pieux et d’outils, elle est présentée par le maître des lieux comme «un abri bâti par les ouvriers». Une simple guérite, comme il en existe des dizaines en Valais ou à Lavaux? Peut-être, sauf que celles que j’ai vues jusqu’ici n’arborent pas de voûtes en berceau et ne se situent pas en plein milieu d’un mur en pierres sèches de cinq mètres de haut et de quarante mètres de long. Aucun doute, le vignoble d’Andorre a encore quelques secrets à dévoiler. Certains pourraient même s’éclaircir assez rapidement puisque plusieurs ceps centenaires disséminés dans les terrasses de la propriété sont en train de subir des analyses ADN. Ces survivants, qui donnent des raisins rouges, permettront-ils de découvrir des variétés autochtones? C’est ce qu’espère Joan Visa Tor, mais en attendant, le propriétaire de Casa Beal réfléchit au rouge qu’il veut planter dans un avenir assez proche. En effet, si la cave a été pionnière dans le petit vignoble d’Andorre en élaborant un premier vin blanc ou en remportant une grande récompense internationale (une grande médaille d’or à l’International Wine Guide 2014 pour le Cim de Cel 2012), son succès a rapidement engendré des vocations.

Casa Auvynia : les chercheurs vignerons

Casa Auvinya Photo: màd Casa Auvinya

Casa Auvinya
Photo: màd Casa Auvinya

«A la base, notre projet devait rester au stade de l’expérimentation, nous ne pensions pas devenir une entreprise commerciale», explique Etienne Tor Armengol. En compagnie de sa sœur historienne, Cristina, de sa femme ingénieure agronome, Elena, et de l’œnologue Martí Margrinyà Poblet, celui-ci cultive 1,5 hectare de vignes qui donnent naissance à quelques trois milles bouteilles. «Lorsque nous avons commencé à réaliser nos premiers essais, nous savions grâce à Casa Beal qu’il était possible d’élaborer des blancs de qualité à Andorre, mais personne ne savait si on pouvait réussir un vin rouge qui tiennent la route», poursuit cet ingénieur forestier reconverti en vigneron. La cave s’est concentré sur des cépages classiques, peu caractéristiques des vignes de montagne, comme le Pinot Noir et la Syrah. La cave a aussi planté du blanc : Viognier, Pinot Gris et Alvarinho. Aujourd’hui, Casa Auvinya commercialise trois vins. A côté de l’Imagine, un assemblage blanc expressif où se marient les trois variétés du domaine, Casa Auvinya propose deux monocépages Evolució Syrah et Evolució Pinot Noir. Si le premier semble encore un peu chercher ses marques, le second, tout en finesse, joue dans un registre assez subtil. Cette cuvée née sur des pentes atteignant parfois 60% fait d’ailleurs la fierté de ses concepteurs qui le présentent régulièrement au Mondial des Pinots de Sierre.

Andorre: deuxième pays du Cornalin

Borda Sabaté, Andorre Photo: màd Borda Sabaté

Borda Sabaté, Andorre
Photo: màd Borda Sabaté

Quand on crée un vignoble dans un pays qui a perdu toute tradition viticole depuis siècle, il n’y pas ni poids de la tradition ou ni réglementation qui pèse sur le choix des cépages. A Borda Sabaté, Joan Albert Farré, a planté deux hectares de Riesling et récolté son premier millésime en 2009. Avec 4000 bouteilles commercialisé par an, son Escol, typé et expressif, peut revendiquer la place de premier vin andorran en volume. Deux ans plus tard, il récolte ses premiers raisins rouges qui donneront naissance au Torb, un assemblage de Cornalin, de Merlot et de Syrah. Joan Albert qui connaît bien la Suisse, a fait venir des greffons de cette variété montagnarde. «Le cépage n’est pas simple à cultiver et les rendements restent très faibles», reconnait l’œnologue-conseil du domaine, Alain Graillot. «De toutes façons, à Borda Sabaté, rien n’est simple», rigole cette sommité de Crozes Hermitage qui chapeaute des domaines en Europe et en Australie. Douze terrasses étagées entre 1100 et 1190 mètres d’altitude, un vignoble accessible par une route non goudronnée, un climat changeant qui peut donner des pluies torrentielles et l’ambition de créer des vins haut de gamme, sans oublier une volonté de travailler en bio: en effet l’équation demande un certain talent. «En 2010, les conditions météorologiques ne nous ont pas permis d’atteindre la qualité désirée, précise Joan Albert Farré, nous n’avons donc pas fait de vin».

902: le premier effervescent d’Andorre
Celler Mas Berenguer est la quatrième cave du pays. Dans cette ferme familiale, la vigne a toujours fait partie des cultures vivrières. Pourtant ce n’est qu’en 2011 que Carles Verdaguer a commercialisé son premier millésime. Aidé de sa fille Davinia, il cultive un hectare de Chardonnay et 3000 mètres de Pinot Noir. Pour l’heure, le domaine ne produit qu’un seul vin: le Trancat de Rocafort, un Chardonnay – assaisonné de 2% de Sauvignon Blanc – qui passe cinq mois en fût de chêne. Pourtant, lors de notre visite, le producteur faisait aussi déguster une bouteille sans étiquette. «Il s’agit d’un Blanc de Blancs qui a passé 20 mois sur lattes», explique Carles Verdaguer qui ajoute «on le présente sur notre stand, mais il ne sera commercialisé que lorsqu’il aura été élevé pendant deux années complètes». Baptisé 902, l’année de l’arrivée de la famille sur les terres qu’elle cultive encore aujourd’hui, cet effervescent devrait être rejoint dans les deux ans par un rosé à base de Pinot Noir.

Un futur radieux
Planter de la vigne à Andorre représente un défi conséquent. Il y a l’altitude, ce qui implique des risques de gel ainsi que de maturation insuffisante en cas de météo défavorable. Il y a un la localisation des vignobles, des petites entités de vignes au cœur d’hectares de forêt, qui attire des gourmets ailés ou à quatre pattes. Les sangliers sont repoussés à coup de barrières électriques et de carabine, les oiseaux contrés par des filets, mais les prélèvements de la faune contribuent à abaisser des rendements déjà faibles. Ce qui explique les prix très onéreux des vins d’Andorre (25 euros au minimum départ cave). Par bonheur, la bonne santé économique de la petite nation, et l’intérêt des geeks du vin pour les raretés œnologiques garantissent un futur sans nuages pour le plus petit pays viticole du monde. Une fois que le temps des pionniers aura passé et que les vignes seront solidement implantées dans les coteaux andorrans, les vignerons de la coprincipauté pourront s’atteler à un autre défi: recréer le lien avec un passé viticole millénaire aussi peu connu qu’intriguant.

Ce dossier sur Andorre (qui comprend un texte de présentation des caractéristiques du pays et une dégustation de tous les vins du pays) est paru dans l’édition de mars 2015 de VINUM.

About the Author:

Journaliste indépendant et créateur de RomanDuVin.ch, Alexandre Truffer écrit régulièrement pour Le Guillon, la revue des vin vaudois, Terre & Nature et VINUM, le magazine européen du vin.

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