Exportation: le début d’une odyssée?
Le total des vins suisses exportés ne dépasse pas le 1% de la production nationale. Et ce malgré les médailles dans les concours et l’évolution qualitative de la viticulture. Pourtant depuis peu, le vignoble helvétique commence à faire parler de lui dans la planète-vin. Nous avons voulu savoir si ce frémissement n’était qu’un feu de paille ou si les flacons à croix blanche qui abordent ces rivages étrangers formaient l’avant-garde d’une armada conquérante.
«Savoir que son Fendant est vendu à plus de 100 dollars la bouteille au restaurant Le Bernardin de New York, cela fait plaisir» confirme Romain Papilloud. «Il y a quatre ans, le marchand américain Neal Rosenthal est venu déguster des vins valaisans. Il voulait importer des vins de petits producteurs. Il avait sélectionné dans le Guide des Vins Suisses des domaines de moins de dix hectares qui avaient obtenu de bons résultats en concours. Aujourd’hui, nous sommes quatre à être référencés chez lui (Cave Les Ruinettes, Cave des Tilleuls et Cave Caloz)», explique ce vigneron qui ne voit que des avantages à l’exportation. «Il vient déguster, choisit et envoie un transporteur qui vient chercher la commande. Et ça augmente chaque année.»
Des données plutôt brumeuses
Tout n’est toutefois pas aussi rose dans l’exportation du vin suisse. Loin s’en faut. L’exportation du vin suisse demeure un sujet complexe, souvent mis en avant en tant de crise, mais qui ne concerne que des volumes très restreints (moins de 1% de la production totale) et plutôt en baisse. Chez les responsable de la Swiss Wine Exporters Association (voir l’entretien avec Thierry Walz), l’organisation des exportateurs de vin suisse, l’optimisme n’est pas vraiment de mise . Jean-Bernard Rouvinez, directeur de la SWEA, nous précise que l’exportation concerne soit des produits de niche, vendus à bon prix mais en faible quantité, soit des surplus de production qui ont été écoulés avec des marges très faibles. Une politique qu’il défend: «l’année passé, nous avons proposé 60 000 bouteilles de Fendant et 30 000 de Dôle chez Aldi (en Allemagne). Le prix moyen était de 5 euros 70 la bouteille, soit le double de la majorité des vins dans ces hard discount germaniques. Ce n’est évidemment pas cher payé, mais 80% du lot est parti le premier jour et cela a permis de payer trois francs le kilo de raisin au vigneron.»
Coup de pouce du Wine Advocate
La quasi absence d’exportation explique sans doute la très faible visibilité du vin suisse à l’étranger. Malgré les efforts de la SWEA, de salons au rayonnement important et les médailles récoltées dans les compétitions internationales, peu de prescripteurs étrangers s’intéressaient au vin suisse. Mais 2013 pourrait marquer un tournant, car, pour la première fois depuis sa création, le Wine Advocate de Robert Parker a présenté, en des termes élogieux des vins suisses. En préambule de ProWein, une cinquante de producteurs étaient rassemblés par Swiss Wine Promotion et la Mémoire des Vins Suisses pour présenter leurs vins à des acheteurs et des journalistes du nord de l’Europe. L’optimisme semblait de mise, la foule était au rendez-vous et plusieurs producteurs espéraient que les quelques lignes rédigées par David Schlidknecht, qui déguste les vins du nord de l’Europe pour le Wine Advocate, ouvriraient des portes pour les vins suisses.
Une gloire à gérer
Du côté des «parkérisés», l’exportation était une réalité avant l’arrivée de David Schlidknecht. Robert Taramarcaz exportait depuis cinq à six en France et en Belgique, ainsi qu’aux Etats-Unis depuis 2010. Pierre-Luc Leyvraz exportait aussi une partie de sa production sur trois marchés: le Japon, la Belgique et les Etats-Unis. Blaise Duboux lui annonce un importateur en France, un nouveau marché en Belgique et des clients privés faisant régulièrement le trajet jusqu’à Lavaux et confirme que « après la mention dans le Wine Advocate, j’ai reçu des téléphones de Singapour, des Etats-Unis, de Norvège et de France». Au Domaine des Muses, le téléphone a aussi beaucoup sonné «des Etats-Unis, de Norvège, de Paris mais aussi des particuliers helvétiques qui ont recommandé par internet.» Toutefois derrière l’enthousiasme et les félicitations, les contrats demandent un peu de temps pour se concrétiser. «Chacun recherche à avoir une exclusivité pour son pays» déclare Blaise Duboux « mais cela ne les empêche de vouloir un rabais de 40% sur le prix public». Un pourcentage peu en phase avec les usages helvétiques où les marges dépassent rarement ces même 40%, surtout sur des vins qui se vendent presque tous seuls. Ainsi, Pierre-Luc Leyvraz déclare que, malgré la fierté et le bonheur que lui ont procuré les commentaires dans le Wine Advocate, «j’ai passé des années à construire une clientèle fidèle qui apprécie et comprend mon produit. Il faut faire attention à ne pas les snober pour courir après des marchés d’opportunité. J’exporte déjà 2 500 bouteilles, qui ne se retrouvent pas sur un marché local plutôt encombré. Cela me semble déjà conséquent même si j’entends développer mes partenariats avec le Japon où la gastronomie est bien adaptée au Chasselas et où les problèmes de change n’ont que peu d’influence.» Robert Taramarcaz espère lui parvenir à atteindre les 15% de sa production à l’exportation. «Ce serait idéal en terme d’image, mais il ne faut pas oublier que la Suisse reste notre marché principal» déclare le vigneron valaisan qui poursuit «3000 bouteilles exportées, c’est une goutte d’eau, mais les gouttes d’eau font les petits ruisseaux!» Une conclusion partagée du côté de Saint-Saphorin où l’on estime que «si tous les vignerons exportaient seulement 10%, comme moi, le vignoble n’aurait aucun problème.»
Cet article fait partie d’un dossier sur l’exportation comprenant un entretien avec le directeur de la Swiss Wine Exporters Association et un panorama des entreprises exportatrices paru dans l’édition de mai 2013 de VINUM.