L’histoire du vignoble vaudois au travers de ses Premiers Grands Crus (épisode 2: sous le joug bernois)
Deuxième partie d’un dossier paru dans le hors-série Vaud 2017 qui revient sur l’histoire du vignoble vaudois au travers des Premiers Grands Crus vaudois.
1584 : le grand éboulement de l’Ovaille
L’Ovaille 1584
Hammel, Rolle
Sans doute le plus célèbre terroir du Chablais, l’Ovaille est né d’un événement tragique. Début mars, les flancs de la montagne surplombant les villages de Corbeyrier et Yvorne fragilisés par les mouvements telluriques cèdent et dévalent la falaise. Le premier est rasé en quelques secondes à l’exception d’une demeure miraculeusement épargnée. Après Corbeyrier, le glissement de terrain gagne encore en furie et s’abat sur le village d’Yvorne. Les hommes étant aux champs, la centaine de victimes se compose surtout de femmes et d’enfants. Quatre caves, six granges et soixante-neuf maisons sont emportées ainsi que plusieurs centaines de têtes de bétail. Ce terroir d’éboulis sera peu à peu transformé en vignoble sur lequel naissent quelques-uns des plus grands vins vaudois. L’Ovaille 158, qui rappelle cet événement mémorable est élevé en œufs de béton par la maison Hammel.
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1608 : un Rolaz au château
Château Saint-Vincent
Hammel, Rolle
Les premières mentions de la vigne remontent aux années précédant l’an mil, mais il faut attendre 1172 pour trouver une mention d’une «maison haute et seigneuriale» qui dépend de l’abbaye de Bonmont, un couvent cistercien des environs de Nyon. A partir du 16e siècle, le domaine passe en mains de nombreux propriétaires originaires de Genève, du Valais ou de Lavaux. En 1608, le premier Rolaz s’installe au château. Cette famille influente de Rolle conservera le domaine – qui sera plusieurs fois morcelé et réunifié – jusqu’à la fin du 18e siècle. Après un siècle et demi en mains allemandes et hollandaises, le domaine est vendu en 1934 à Henri Rolaz, un vigneron du château. Celui-ci est toujours propriétaire des vignes – qui forment désormais une entité différente de la bâtisse proprement dite – qui sont vinifiées, par la maison Hammel, dirigée par Charles Rolaz.
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1609 : Agathe d’Erlach reconstruit le village d’Yvorne
L’Ovaille
Domaine de l’Ovaille, Yvorne
Elaboré par la famille Deladoey, ce vin naît sur des parcelles voisines de celles utilisées pour le 1584 présenté précédemment. En effet, la taille et la puissance de l’éboulement qui a détruit le village d’Yvorne fut tel qu’il fallut près d’un quart de siècle pour que le village soit reconstruit à l’est de son ancien emplacement après l’ovaille, un mot de vieux français qui signifie dégât causé par la grêle ou par un éboulement. A une époque où les assurances n’existaient pas encore, la renaissance du village – qui demanda trois ans de travaux – doit beaucoup à Agathe d’Erlach. Cette patricienne bernoise, née Agathe de Diesbach, est la femme d’Antoine d’Erlach, gouverneur d’Aigle, qui vivait l’été au Château d’Aigle et l’hiver au Château Maison Blanche d’Yvorne, qui sera lui aussi rasé par la catastrophe et reconstruit en 1609.
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1663 : métissage des architectures
Domaine de Autecour
Domaine de Autecour, Mont-sur-Rolle
Ce manoir qui domaine le vignoble de Mont-sur-Rolle a été érigé par un membre de la famille de Wurstemberger au milieu du 17e siècle si l’en croit la date de 1663 gravée sur la façade. Il se distingue par son architecture atypique. La toiture est de style indubitablement bernoise, tandis que le reste du bâtiment affiche fièrement ses origines savoyardes. Symbole des deux principales influences tutélaires du canton de Vaud, ce domaine racheté par Arnold Schenk en 1936 tire son nom du vieux français «altacort», qui signifie «maison du haut». Outre le Chasselas, élevé en grands vases de bois et qui donne, entre autres, naissance au Premier Grand Cru, ce domaine de six hectares abrite aussi du Plant Robert, une ancienne sélection de Gamay originaire de Lavaux que des vignerons passionnés ont sauvé de l’extinction dans les années 1960.
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1706 : attaque de pirates sur le Léman
Château de Montagny
J&M Dizerens, Villette
Au début du 18e siècle, le Château de Montmagny à Lutry – qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme de Villette qui appartient à la ville de Payerne – est la propriété d’un aventurier nommé Jean-Pierre Blanchet. Banneret de la ville de Pully, celui que l’administration de l’époque qualifie «d’insigne fripon» est devenu baron de Lays en sauvant sa femme dans une Europe en proie aux guerres de religion. En 1706, aidé par plusieurs personnalités réformées, il attaque un bateau qui transporte des fonds envoyés par Louis XIV à ses troupes stationnées à Turin. Les pirates du Léman s’emparent d’un magot colossal. Face à la fureur du Roi Soleil, Berne décide d’intervenir. Jean-Louis Blanchet sera arrêté et décapité le 4 janvier 1707 tandis que sa femme vendra le château – aujourd’hui propriété de la Banque Cantonale Vaudoise – quelques années plus tard.
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1756 : patriciens genevois à La Côte
Château La Bâtie
Château La Bâtie, Vinzel
Tour de garde médiévale faisant partie du réseau militaire de la Seigneurerie d’Aubonne, propriété savoyarde, puis bernoise, la demeure actuelle est l’œuvre d’un architecte français, Joseph Abeille, qui la conçoit en 1722. Une trentaine d’années plus tard, en 1756, un édile genevois, Jacques Baraban en fait l’acquisition et se lance dans des travaux d’agrandissement et d’aménagement. Il la transmet à sa fille adoptive, Suzanne de Saugy, dont le mari et le fils développeront et agrandiront le vignoble. A partir de ce moment, le domaine se transmettra uniquement par les femmes, jusqu’à la propriétaire actuelle Laura de Cormis. Aujourd’hui, deux des dix hectares de ce vignoble magnifiquement exposé sur le coteau escarpé et très ensoleillés de Vinzel, sont réservés à la production du Premier Grand Cru.
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1776 : la culture à la vaudoise, un gage de qualité
Domaine de Fischer
Domaine de Fischer, Rolle
Vinifié dans des foudres de chêne de 10’000 litres par la maison Hammel, les vignes appartiennent à la famille Ris-de Fischer depuis 1620. On a retrouvé dans la propriété des tabelles relatives à la maturité et à la productivité des parcelles datant de 1776. L’ancienneté de ces documents rappellent que jusqu’au 20e siècle, le Canton de Vaud possédait un vignoble beaucoup plus important qu’aujourd’hui. La «culture à la vaudoise» était d’ailleurs citée en exemple par les réformateurs des vignobles romands voisins. De fait, le cépage emblématique de la région lémanique, le Chasselas, va s’implanter sur tout le vignoble romand à partir du milieu du 19e siècle. L’excellence mise au service de la vigne et de la vinification se perpétuent à Changins, près de Nyon, qui accueille aujourd’hui la seule Haute école de viticulture et d’œnologie du pays.
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1786 : un plan presque moderne
Les Cottes
Domaine Serreaux-Dessus, Begnins
Les quatre points cardinaux qui ornent le plan se nomment couchant, levant, vent et bize comme le voulait l’usage à la fin du 18e siècle. La disposition des vignes a elle peu été modifiés depuis plus de deux siècles. Les parcelles La Vigniettaz, En Clodiaz et Les Cottes – que travaillent et vinifient aujourd’hui Antoine Nicolas et Vincent Chappuis – portent toujours le même nom qu’à la fin de l’Ancien Régime. Il est vrai que Serreaux s’appuie sur une histoire tourmenté de près d’un millénaire. Bourg prospère après l’an mil, Les Serreaux comptent un château et une cour de justice. Au 17e siècle, la commune tombe en ruines pour des raisons qui sont mal connues. Seuls deux domaines viticoles – Serreaux-Dessus, propriété de la famille Matringe, et Sarraux-Dessous, qui appartient à la maison Bolle, – transmettent la mémoire du bourg disparu.
www.serreaux-dessus.ch
Alexandre Truffer
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