Gamaret: naissance d’un cépage révolutionnaire
Couvrant 400 hectares de vignes en Suisse, le Gamaret s’est si bien fondu dans le paysage viticole suisse qu’on oublie bien souvent que ses premières bouteilles ont été commercialisées il y a tout juste 25 ans. Retour sur la naissance d’un succès avec deux de ses maïeuticiens: Claude Desbaillets et Roger Burgdorfer.
«Mon premier contact sérieux avec le Gamaret a eu lieu en 1985», déclare Roger Burgdorfer. «Je suis allé à Changins avec quelques collègues pour faire une dégustation des croisements obtenus par André Jacquinet. Il y a avait une dizaine de micro-vinifications. Deux numéros, le B13 qui deviendra le Gamaret et le B28 qu’on connaît aujourd’hui sous le nom de Garanoir, me plaisaient. J’en ai planté en 1986 et fait ma première récolte trois ans plus tard. Dès 1992, le Gamaret a été intégré à mon assemblage, le Pont des Soupirs», poursuit le propriétaire du Domaine du Paradis à Satigny qui est aussi pépiniériste. «Nous avions planté quelques centaines de mètres au domaine de l’Etat en 1984», précise l’ancien œnologue cantonal Claude Desbaillets «mais grâce au Domaine du Paradis, on quittait le stade de l’essai pour passer à la pratique, aussi bien sur le plant viticole et œnologique qu’économique».
Créé en 1970, dans la foulée des Doral, Charmont, Garanoir, Diolinoir et autres Galotta, le Gamaret devait constituer une alternative au Pinot Noir, très sensible à la pourriture. «André Jacquinet a croisé du Pinot Noir et du Gamay avec du Reichensteiner, un cépage blanc allemand, car ce dernier était précoce et résistant à la pourriture. Deux qualités que l’on espérait retrouver dans leur progéniture», explique Claude Desbaillets qui ajoute : «les croisements avec le Pinot n’ont rien donné, mais des obtentions comme le B13 ou le B28 avaient quelque chose de révolutionnaire». «Il offraient de la couleur, des tanins, un peu de rusticité. C’était un style très différent des rouges genevois de l’époque qui avaient pour modèle le Gamay frivole», renchérit Roger Burgdorfer qui rappelle que le vignoble genevois se trouvait dans un profond marasme durant les années 1980 et qu’il fallait absolument trouver des alternatives.
Les deux professionnels se montrent catégoriques: l’arrivée du Gamaret a durablement transformé la viticulture genevoise. «Les autres rouges tanniques comme le Merlot et le Cabernet n’arrivent pas à maturité dans le canton sans limitation sévère des rendements, or couper les raisins n’était pas dans la mentalité de l’époque», poursuit le producteur de Dardagny «Gamaret et Garanoir ont permis de faire le pont entre le duo traditionnel Pinot Noir/Gamay et les autres variétés rouges». Une opinion que partage Claude Desbaillets: «non seulement le Gamaret avait un intérêt économique, car inconnu à l’étranger et peu utilisé par les autres cantons, il permettait de se diversifier, mais son arrivée a posé la question du potentiel de garde et de l’assemblage, deux notions qui ne faisaient pas partie de la tradition genevoise».
Une question demeure: quel potentiel qualitatif pour cette variété charnière dans la révolution qualitative du vignoble genevois? «Le Gamaret permet d’élaborer des vins haut de gamme, mais pas forcément de prestige», nuance Roger Burgdorfer qui l’utilise exclusivement comme vin d’assemblage «dans les années très mûres, une Syrah ou un Cabernet Sauvignon auront plus d’élégance et de finesse. A l’inverse, dans les millésimes un peu faibles, 2013 par exemple, le Gamaret tire beaucoup mieux son épingle du jeu et garantit une base stable pour les assemblages».
Le Gamaret possède de la couleur et des tanins, il mûrit vite et résiste bien à la pourriture. Par contre, il se révèle sensible aux maladies cryptogamiques comme le mildiou et l’oïdium. Ce qui n’est pas le cas du Divico, un croisement de Gamaret et de Bronner lui-même créé par un institut de recherche germanique, que Changins à mis sur le marché en 2013. Les premières dégustations ayant montré que les vins élaborés à partir de cette nouveauté ont un profil similaire à notre jubilaire, pourrait-on imaginer qu’à moyen terme celle-ci remplace Gamaret et Garanoir? Si Claude Desbaillets estime qu’il est beaucoup trop tôt pour se prononce, Roger Burgdorfer considère l’hypothèse comme plausible.
Cet article est paru dans le hors-série Genève 2014.
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