By 14 avril 2020 0 Comments Read More →

Œil-de-Perdrix: l’ambassadeur de Neuchâtel

Incontournable de tout restaurant suisse qui se respecte, l’Œil-de-Perdrix est l’un des rares vins, si ce n’est le seul, à dépasser toutes les barrières cantonales. De Verbier à Bâle et de Genève à Romanshorn, ce rosé de Pinot Noir fait le bonheur des amateurs de crus équilibrés et fruités.

Dégustation 2019 d'Oeil-de-Perdrix Photo:NVT

Dégustation 2019 d’Oeil-de-Perdrix
Photo:NVT

«Les vins de Cortaillod, dans les bonnes années sont aussi bons que les meilleurs vins de Bourgogne», voici ce qu’écrit François-Louis, comte d’Escherny, à Jean-Jacques Rousseau. «Au 18e siècle, cette assertion était tout à fait plausible. En deux cents ans, l’art de la vinification a fait des progrès considérables et les goûts ont évolué. A l’époque, les Pommard et les Volnay n’étaient que légèrement teintés et fort légers à l’instar des vins rouges de Neuchâtel», expliquer Patrice Allanfranchini, conservateur du Musée de la Vigne et du Vin du Château de Boudry. «Œil-de-Perdrix est une appellation générique de la viticulture dont on trouve les premières mentions au 14e siècle en Bourgogne. A l’époque, un Œil est un rouge qu’on n’a pas réussi à vinifier en blanc et qui avec le temps prend la teinte mordorée de l’œil d’une perdrix morte. Il faut comprendre que pendant des siècles, la vinification en rouge faisait peur, car les cuvaisons trop longues pouvaient engendrer des problèmes de piqure acétique. Les rouges profonds ont commencé à apparaître à la fin du 18e, lorsque les vignerons ont commencé à maîtriser le chapeau flottant. Avant pour avoir du rouge, on rajoutait des raisins teinturiers dans le moût.» L’historien précise qu’on retrouve au 19e siècle des étiquettes utilisant l’appellation Œil-de-Perdrix en Bourgogne et en Champagne. A Neuchâtel aussi puisque le Château de Boudry conserve une étiquette d’Œil datée de 1861 qu’à fait imprimer Louis Bovet, propriétaire-encaveur à Areuse. Il faut attendre la fin de la Deuxième Guerre Mondial pour que l’Œil-de-Perdrix de Neuchâtel sorte des frontières cantonales. En un demi-siècle, il deviendra une spécialité appréciée au quatre coins de la Suisse que nous présentent cinq producteurs de ce rosé de Pinot Noir.

Cinq producteurs nous font de l’Œil

Cave des Lauriers
«L’Œil-de-Perdrix est un excellent moyen de fidéliser une nouvelle clientèle privée de Suisse alémanique. Sa réputation de vin de printemps, ou d’été, est en train de changer. Il n’y a pas de discussion sur le fait que ce soit un rosé, mais ce terme n’est pas vraiment positif. En réalité, l’Œil neuchâtelois est un vin noble qui peut, et même qui doit se consommer toute l’année. Ce n’est pas un cru friand, mais une spécialité mûre et enrobée dans laquelle le Pinot Noir doit transparaître», explique Christian Fellmann. Travaillant avec son cousin Jean-Marc Jungo un domaine de sept hectares, il confirme que le concept de rosé reste assez flou pour beaucoup de gens. «Lors des visites de cave, nous insistons sur le fait que la majorité des cépages rouges nobles donnent des jus blancs et qu’une macération se révèle indispensable pour obtenir un vin coloré. Nous sommes des défenseurs d’Œil élaborés à partir de Pinot Noir cuvés. Pour que le consommateur comprenne que cette spécialité n’est pas un rosé de plage et que son prix, plutôt élevé pour un vin de cette couleur, est imposé par des contraintes techniques essentielles, il faut qu’ils comprennent la minutie et le soin demandé par sa vinification complexe.»
www.75cl.ch 

Caves de La Béroche
«Nous produisons trois Œil-de-Perdrix. Le premier en agriculture conventionnelle sous l’étiquette de La Béroche. Les deux autres, un classique et un vin un peu plus haut de gamme, proviennent du Domaine des Coccinelles, travaillé selon les normes de Bio Suisse depuis des années», déclare Caleb Grob, le directeur de cette coopérative fondée en 1935. Lorsqu’on lui demande quelle est la différence entre un Œil classique et un Œil de prestige, il répond: «Pour ce dernier, nous sélectionnons nos meilleures cuves. Il y a aussi de petites différences de vinification. Nous nous réservons ainsi la possibilité d’ajouter un peu de Pinot Gris si nous jugeons que cela permettra d’améliorer la qualité.» Cette possibilité est surtout utilisée les années où le Pinot Noir présente une forte acidité. L’ajout de ce cépage blanc permet d’arrondir les arômes et de rendre le vin plus rond, plus gourmand. En ce qui concerne la commercialisation, la situation apparaît plutôt saine. «Nous ne subissons pas de manière directe les importantes fluctuations qui affectent le marché des rosés. L’Œil demeure un produit qui fonctionne bien et qui connaît une progression régulière et constante ces dernières années. A l’inverse, on voit que, pour certains vins étrangers, un changement de mode ou une météo défavorable ont un impact dévastateur.»
www.caves-beroche.ch

Domaine de Chambleau
«Même si personnellement, je suis plus attiré par le Pinot Noir, l’Œil-de-Perdrix demeure un produit important, surtout hors du canton de Neuchâtel. Pour notre encavage, cela représente dix à quinze mille bouteilles soit un quart de la vendange de Pinot Noir. D’un point de vue plus technique, l’Œil-de-Perdrix représente une opportunité œnologique, car j’aime saigner mes vins rouges. En élaborant des Œil de saignée, cela me permet d’obtenir des rosés de qualité sans sacrifier les peaux que j’utilise pour la cuvaison des rouges. Je vais toujours quelques pressoirs d’Œil, car la macération et le pressurage donnent des vins un peu plus souples. Marier les deux permet d’obtenir un vin plus abouti», dévoile Louis-Philippe Burgat qui précise qu’il choisit pour ses rosés des vignes plus productives ou qui donnent habituellement des raisins un peu moins mûrs. «On cherche à obtenir des arômes de fruits frais en récoltant un peu plus tôt les parcelles destinées à l’Œil. Nous essayons de ramasser les raisins pour le rosé lorsqu’ils avoisinent les 90 degrés Oechslés, alors qu’on vise plutôt les 95 pour les rouges. Ces cinq degrés correspondent théoriquement à un décalage d’une semaine de beau temps.»
www.chambleau.ch

Domaine de Montmollin
«On produit près de 80 000 bouteilles d’Œil-de-Perdrix par an, ce qui correspond à la moitié du Pinot Noir, exclusivement cultivé dans nos vignes, que nous encavons», déclare Benoît de Montmollin qui codirige avec sa sœur, Rachel Billeter-de Montmollin, le domaine familial depuis le premier janvier de cette année. «Nous produisons trois Œil, un Neuchâtel classique rond et élégant. A Bevaix, sur le Domaine de Chauvigny, nous avons des terres plus profondes qui donnent un vin un  plus sec. A Gorgier, où les sols ont moins de profondeur, la minéralité ressort avec plus d’intensité. Les vins sont en général des Pinot Noir purs issus en partie de pressurage direct suivi d’une macération et en partie de saignées réalisées sur nos rouges», poursuit le représentant de la quatrième génération. Interrogé sur la commercialisation, le duo répond que 60% de l’Œil est vendu à l’intérieur du canton de Neuchâtel tandis que les 40% restant prennent le chemin des autres cantons. «Outre-Sarine, les gens connaissent les vins de Neuchâtel par l’Œil-de-Perdrix. Plus étonnant, Vaud est le deuxième canton le plus friand d’Œil. Malgré des années difficiles pour les vignerons, les ventes progressent chaque année de manière régulière.»
www.domainedemontmollin.ch

Domaine Saint-Sébaste
«Je travaille douze hectares de Pinot Noir, dont un tiers environ est utilisé pour élaborer de l’Œil-de-Perdrix, explique Jean-Pierre Kuntzer. Nous sélectionnons des parcelles pour les rouges et des parcelles pour les rosés. En ce qui concerne la vinification, je reste relativement traditionnel: mon rosé est issu d’une macération de 24 heures puis vinifié dans une cuve sans contact avec du chêne.» Travaillant un domaine selon les principes de la biodynamie, ce producteur de Saint-Blaise estime que le changement agronomique a eu un impact important sur le style de ses vins: «La biodynamie donne des vins qui ont plus de caractère, plus de profondeur. Cela ne donne pas des crus plus corsés, mais plus complexe et plus persistants. Encore faut-il, pour remarquer cet effet, déguster avec une certaine attention. Ces vins demandent aussi un plus de temps pour atteindre leur apogée.» Comme plusieurs de ses confrères, Jean-Pierre Kuntzer considère que les Œil prennent du volume, s’arrondissent après un ou deux ans. «Mais je n’aime pas les garder plus longtemps, car ensuite la couleur commence à changer. Et puis, on ne peut pas tout garder, il faut aussi consommer certains vins sur la jeunesse.»
www.kuntzer.ch
Alexandre Truffer

Cet article est paru dans le dossier Oeil-de-Perdrix du hors-série Neuchâtel 2017.

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