Petite satisfaction en temps de réclusion (vin suisse et dormition: épisode 4)
Vin suisse et dormition : épisode 4 20 mars 2020
«Pas de politique spectacle» : tel est le mot d’ordre des autorités helvétiques qui n’imposent pas un confinement qui semble bien difficile à mettre en place. A voir les réactions sur les réseaux sociaux où les mêmes qui parlaient d’une simple grippe il y a une semaine exigent désormais l’assignation à résidence de la population mondiale, le Conseil Fédéral a sans doute fait assez juste. Cela permettra en tout cas de profiter de petits plaisirs de la vie. Ce matin, un collègue de la Confrérie du Guillon m’a livré trois magnifiques pièces de bœuf (du Simmental, je précise, on reste suisse encore une fois). Affinés de 60 à 95 jours, ces côtes de bœuf et faux-filet sont en général réservés exclusivement aux très grandes tables et ne sont pas proposées à la clientèle privée. Alors prenons exemple sur le Titanic, s’il faut sombrer, autant le faire avec style (et si possible en faisant tourner le commerce local) !
La bouteille du jour
La dormition causée par le coronavirus va porter un coup très rude à un vignoble suisse déjà touché par la crise. Afin d’apporter un maigre soutien aux vignerons sur lesquels j’écris depuis quinze ans, j’ai décidé d’ouvrir une bouteille de vin suisse par jour de confinement (deux précisions: j’ai dit ouvrir, pas forcément finir, et vu que ma cave compte près de 600 bouteilles de vin suisse, je ne crains pas trop de tomber à sec).
Servagnin Cuvée du Château 2017 Domaine de la Ville de Morges
Elevé deux ans dans un cellier médiéval du Château de Morges, ce Pinot Noir né d’une ancienne variété qui fête aujourd’hui son sixième centenaire possède caractère, complexité et potentiel. Nous avons aimé la robe rubis dense ainsi que le nez expressif qui marie la fraise, la myrtille, la cardamome, le poivre de Madagascar et la framboise. L’attaque franche et la finale persistante et délicatement épicée encadrent une bouche racée qui convainc par son aromatique similaire à celle du bouquet et sa fraîcheur tonique.
Un peu de culture sur le vignoble suisse
L’homme fait du vin depuis bien des millénaires. Savant mélange de connaissances et de sciences diverses, la fabrication de ce breuvage raffiné nécessite une maîtrise dont seuls un long apprentissage et une solide expérience sont garants. Un bon vin, c’est de l’amour, de la patience mais aussi, n’en déplaise aux poètes, une bonne dose de science. Ainsi, lorsqu’on jette un œil aux techniques utilisées dans les processus de vinification moderne, on imagine aisément les défauts que devaient avoir les vins de nos ancêtres. Et si leurs bouches étaient sûrement moins fines que les nôtres, que deux ou trois notes oxydatives ne les faisaient probablement pas grimacer, ils ne satisfaisaient pas non plus de tout et n’importe quoi. Les techniques étant ce qu’elles étaient, les défauts étaient monnaie courante et il n’était bien évidemment pas question de jeter le vin mauvais. Ainsi fleurirent les remèdes les plus divers, destinés à rendre à ces malades leur prime jeunesse, ou du moins, quelque chose d’approchant. L’historienne Cristina Buchard et l’œnologue Corinne Clavien ont sorti de l’oubli certaines de ces méthodes d’antan qui recèlent une ingéniosité à laquelle le temps et la science ont étonnamment souvent donné raison. Testez vos connaissances et tentez de retrouver parmi ces quelques trucs d’antan (fin 18e, début 19e) ceux qui sont encore utilisés en viticulture de nos jours.
Notre dossier sur les méthodes d’autrefois pour soigner le vin
Journaliste sur le vin, spécialisé sur le vignoble helvétique, j’habite à Montreux. Mi-mars 2020, cette petite ville animée sur les bords du Lac Léman est entrée, comme le reste du pays, en dormition (un terme religieux qui désigne une mort sans souffrances) pour cause d’épidémie de coronavirus. Travailleur indépendant, rédacteur en chef de l’édition francophone de VINUM, père d’une petite fille de trois ans, président d’un concours international (le Mondial du Chasselas), je dois désormais réorganiser à peu près tous les pans de ma vie privée et professionnelle. Traverser le confinement, et survivre au cataclysme économique qui le suivra, va être une aventure exigeante dont ce journal de bord entend garder la trace.
Alexandre Truffer
Cet article est paru dans le dossier Premiers Grands Cru du hors-série Vaud 2017.
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